Un prêtre se bat pour empêcher
qu'elles ne soient fondues et saisit la justice.
Réduites au silence après deux
siècles de tintants et loyaux services, les quatre cloches de Notre-Dame de
Paris, décrochées en février dernier en vue de leur remplacement, avaient
provoqué une vive émotion en étant promises à la destruction. Elles sonnaient
faux, le bronze du XIXe était de mauvaise qualité, elles ne méritaient
même pas leur reconversion en objet d'exposition. C'est ce que l'évêché de
Paris, dépositaire des cloches, qui sont propriété de l'État depuis la loi de
1905, a invoqué, soucieux d'une complète «restauration du paysage sonore» (d'un
coût de 2 millions d'euros) pour le 850e anniversaire de la cathédrale en 2013.
Direction, donc, la fonderie
Cornille Havard en Normandie où, toujours stockées, Angélique-Françoise
(1915 kg), Antoinette-Charlotte (1335 kg), Hyacinthe-Jeanne
(925 kg) et Denise-David (767 kg) attendent leur funeste coulée. La
polémique s'en serait tenue là si elle n'avait pas pris une nouvelle volée avec
l'engagement d'un recours juridique pour stopper cette destinée.
Curé contre archiprêtre
Comble du barouf, c'est une
communauté religieuse qui en est l'auteur. Candidat à la reprise des cloches, l'institut religieux
Sainte-Croix de Riaumont (Pas-de-Calais) s'est proposé de les récupérer pour
leur offrir une deuxième vie mais aussi parce que la communauté, qui construit
une abbaye dans un chantier-école avec des scouts, en a besoin. D'une pierre
deux coups. «Nous étions dans un cas de vandalisme, “destruction inutile”,
comme le définit le dictionnaire, et ce n'était pas acceptable, explique Alain
Hocquemiller, le père prieur de Riaumont. J'étais même prêt à les payer pour
les acquérir, d'autant qu'il nous en faut pour notre future église. On m'avait
fait une estimation basse à 24.000 €.»
Par l'entremise de l'Observatoire
du patrimoine religieux (OPR) qui veille à la sauvegarde des édifices et objets
du culte, la communauté rencontre la Direction régionale des affaires
culturelles d'Ile-de-France (Drac), à qui incombe le devenir des cloches.
Celle-ci donne son accord implicite, notifié dans un procès-verbal de réunion
entre l'OPR, l'abbaye de Riaumont et la Drac, daté du 25 octobre dernier.
«En conclusion, Dominique Cerclet (conservateur régional des monuments
historiques à la Drac Ile-de-France, NDLR) propose de mener à bien la procédure
de déclassement (du domaine public vers le privé, NDLR) et d'estimer les
cloches à une valeur symbolique», résume le document. Le père prieur pense
alors l'affaire entérinée. Mais voilà que la Drac conditionne la cession des
cloches à «l'accord express de l'évêché» sinon «cela ne se fera pas». Or,
Mgr Patrick Jacquin, recteur-archiprêtre de la cathédrale et président de
l'association Notre-Dame de Paris 2013, «oppose son refus», ne décolère pas le
prieur de Riaumont. Les cloches seront fondues, un point c'est tout. La Drac
répond aujourd'hui aux abonnés absents, le patron de la fonderie, Paul Bergamo,
n'a «pas de directive à ce jour», et l'évêché jure ses grands dieux qu'«il n'y
a pas de date prévue pour la fonte», qu'il a «mis de côté cette option», qu'il
n'a «pas son mot à dire sur une propriété de l'État», répond-il.
Le blocage du dossier et le
manque d'explications provoquent «la colère mais surtout l'incompréhension», se
désole Béatrice de Andia, présidente de l'OPR. «Mgr Jacquin ne voulait
plus ces cloches mais il ne voulait pas non plus qu'elles sonnent ailleurs qu'à
Notre-Dame, rapporte le père Alain Hocquemiller de ses échanges houleux avec
l'ecclésiastique. Il n'a pas fourni d'argumentaire, juste un entêtement, les
relations ont été très violentes.»
Intouchables
Un proche du dossier confie son
analyse: «Pour faire passer la pilule des 2 millions d'euros, demandés aux
donateurs, pour fabriquer les nouvelles cloches, l'évêché a tout intérêt à dire
que les anciennes ne valent pas un clou», dit-il.
La querelle de cloches est
consommée, la communauté prend un avocat. «Comment peut-on user et abuser d'un
bien qui ne nous appartient pas, qui plus est pour le détruire?», interroge
Me Philippe Bodereau. Mercredi, il adresse une mise en demeure à la
fonderie pour l'enjoindre à renoncer à toute intention de fonte, Riaumont
s'estimant destinataire des cloches. Et, dans la foulée, dépose une requête
«aux fins de saisie-revendication». La juge en accepte les motivations en se
fondant sur le document de la Drac et «autorise la saisie des biens désignés»,
dit l'ordonnance. Jeudi, un huissier se rend à la fonderie pour signifier la
saisie.
Désormais, personne ne peut
toucher aux cloches, en attendant les prochains arbitrages. En véritable
croisé, le père Alain Hocquemiller est déterminé et prêt à décocher d'autres
flèches, si besoin. Il vient de fonder l'Association de sauvegarde du
patrimoine religieux et liturgique qui «se réserve le droit d'invoquer les
articles 322-3-1 et 322-4 du Code pénal», prévient Me Philippe Bodereau.
En effet, depuis le 15 juillet 2008, par la loi relative aux archives
portant modification du code du patrimoine, la détérioration d'objets ou
mobilier du culte est un délit pénal, punissable de sept années
d'emprisonnement et de 100.000 euros d'amende…
SOURCE
- Delphine de Mallevoüe - Le Figaro - 9 novembre 2012
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