Anne Bamberg
Le pouvoir de gouvernement Canons et notions
clefs
Le premier
livre du code de droit canonique en vigueur pour les catholiques de rite latin
traite des normes générales et plus spécialement au titre VIII portant
sur le pouvoir de gouvernement, en latin potestas regiminis. Il
s’agit là d’une question fondamentale dans la vie de l’Église. Comme les bases
se trouvent dans le c. 129 du code de droit canonique, nous analyserons d’abord
ce canon en portant l’attention sur le vocabulaire - en particulier celui de la
coopération des laïcs-, en retraçant l’histoire de son élaboration et en
examinant ses sources. Puis nous verrons successivement quelques notions
importantes pour la compréhension du droit canonique, à savoir le for externe
et le for interne, le pouvoir ordinaire et le pouvoir délégué ainsi que la
notion d’Ordinaire et enfin la question de la séparation des pouvoirs.
I. Le canon 129
La première étape consiste évidemment en la lecture de ce canon
fondamental en portant une attention particulière au vocabulaire. Puis nous
verrons comment ce canon a été élaboré à travers divers schémas et, enfin,
quelles en sont les sources indiquées dans le code annoté, à savoir l’édition
du codex iuris canonici qui est fontium annotatione auctus.
1. Lecture et attention au vocabulaire
Le c. 129
est le premier du titre VIII couvrant les c. 129 à 144. On le lira tout d’abord
attentivement en se reportant à l’original latin.
§ 1
Potestatis regiminis, quae quidem ex divina institutione est in Ecclesia et etiam
potestas iurisdictionis vocatur, ad normam praescriptorum
iuris, habilis sunt qui ordine sacro sunt insigniti. § 2 In exercitio
eiusdem potestatis, christifideles laici ad normam iuris cooperari possunt.
§ 1 Au
pouvoir de gouvernement qui dans l’Église
est vraiment d’institution divine et est encore appelé pouvoir de
juridiction, sont aptes, selon les dispositions du droit, ceux qui ont reçu
l’ordre sacré. § 2 À l’exercice de ce pouvoir, les fidèles laïcs peuvent
coopérer selon le droit.
Les tables de correspondance entre les canons des codes de
1983 et 1917 montrent que ce canon trouve son équivalent au c. 196 du codex
iuris canonici de 1917. Il est important de lire aussi ce texte dont vous
trouverez une traduction littérale et non officielle sur la colonne de droite.
Potestas iurisdictionis seu regiminis quae Le
pouvoir de juridiction ou
de
ex divina institutione est in Ecclesia, alia gouvernement qui existe par institution
est fori externi,
alia fori interni,
seu divine dans
l’Église, est soit
de for
conscientiae, sive sacramentalis sive externe, soit de
for interne, ou
de
extra-sacramentalis. conscience, (ce
dernier étant) ou
sacramentel
ou extra-sacramentel.
Une question de vocabulaire doit ici être relevée. Le code de 1917
privilégiait le terme jurisdictio alors que celui de 1983 parle d’abord
de potestas regiminis tout en reconnaissant que ce terme équivaut à potestas
iurisdictionis. Cette option est le résultat d’une double considération.
D’une part, l’expression potestas regiminis est plus conforme à Vatican
II qui parle de munus regendi. Et d’autre part, dans le langage des
droits étatiques actuels le terme juridiction désigne l’exercice du pouvoir
judiciaire. Or pouvoir judiciaire et potestas iurisdictionis sont deux
choses distinctes en droit canonique et il ne faudrait pas se laisser entraîner
dans cette confusion qui constituerait une erreur majeure.
Même si nous ne traitons ici que du code latin, notons que
ce canon a un parallèle au c. 979 du code des canons des Églises orientales de
1990 qui figure aussi sous le titre de potestate regiminis. Son libellé
est proche de celui du c. 129 mais plus simple, omettant l’incise et etiam
potestas iurisdictionis vocatur.
2. Élaboration du canon
On trouvera ci-après les schémas successifs élaborés entre les
codes de 1917 et 1983. Il est important de regarder ces textes de près afin d’y
relever les différences entre le c. 196 du code de 1917, les différents schémas
et le c. 129 du code de 1983. C’est ainsi que l’on pourra comprendre comment le
texte a évolué. Dans le schéma partiel de 1977 on trouve encore deux canons
dont l’un repose sur le c. 196 du codex iuris canonici de 19171.
Schéma
sur les normes générales (1977) :
Can. 96 (novus)
Potestatis regiminis in Ecclesia, ad normam praescriptorum
iuris, habiles sunt, qui ordine sacro sunt insigniti ; in exercitio eiusdem
potestatis, quatenus quidem eodem ordine sacro non innititur, ii qui ordine
sacro non sunt insigniti eam tantum partem habere possunt quam singulis pro
causis auctoritas Ecclesiae suprema ipsis concedit.
1
Si l’on veut poursuivre les recherches par l’étude des discussions
à la commission de révision du code, on se reportera à la revue Communicationes,
23, 1991, p. 219-221 où se trouvent les travaux de la session du 26 novembre au
1er décembre 1979. La Relatio, qui rapporte la discussion
fondamentale soulevée à propos du c. 126 du schéma de 1980, est
particulièrement intéressante ; elle est publiée dans Communicationes,
14, 1982, p. 146-149.
2
Can. 97 (CIC
196)
Potestas regiminis, etiam potestas iurisdictionis vocata,
quae quidem ex divina institutione est in Ecclesia, de se exercetur pro foro
externo, quandoque tamen pro solo foro interno, ita quidem ut effectus quos
eius exercitium natum est habere pro foro externo, in hoc foro non
recognoscantur, nisi quatenus id determinatis pro casibus iure statuatur.
Schéma
de 1980 :
Can. 126
Potestatis regiminis, quae quidem ex divina institutione est
in Ecclesia et etiam potestas iurisdictionis vocatur, ad normam praescriptorum
iuris, habiles sunt, qui ordine sacro sunt insigniti ; in exercitio eiusdem
potestatis, quatenus eodem ordine sacro non innititur, christifideles laici eam
partem habere possunt quam singulis pro causis auctoritas Ecclesiae suprema
ipsis concedit.
Can. 127
Potestas regiminis de se exercetur pro foro externo,
quandoque tamen pro solo foro interno, ita quidem ut effectus quos eius
exercitium natum est habere pro foro externo, in hoc foro non recognoscantur,
nisi quatenus id determinatis pro casibus iure statuatur.
Schéma
de 1982 :
Can. 129
Potestatis regiminis, quae quidem ex divina institutione est
in Ecclesia et etiam potestas iurisdictionis vocatur, ad normam praescriptorum
iuris, habiles sunt qui ordine sacro sunt insigniti ; in exercitio eiusdem
potestatis, christifideles laici tamen eam partem habere possunt, quam singulis
pro causis auctoritas Ecclesiae suprema ipsis concedit.
On relèvera que selon les schémas les personnes qui n’ont pas reçu
le sacrement de l’ordre peuvent cependant prendre part (partem habere
possunt) au pouvoir de gouvernement. Le canon du code promulgué porte cooperari
possunt, expression qui renvoie à un texte conciliaire LG 33. Ici
l’expression est la suivante : laici insuper diversis modis ad cooperationem
magis immediatam cum apostolatu Hierarchiae vocari possunt.
En examinant l’élaboration du c. 129 on constate que
l’expression cooperari possunt, tout
en se fondant sur LG 33, n’apparaît que lors de la promulgation du code.
Il s’agit d’une expression importante qu’il est intéressant de préciser
par l’examen, dans leur contexte, d’autres canons tout en portant l’attention
sur les expressions françaises par lesquelles elle a été traduite ; on verra
par exemple les c. 208, 328, 529 § 2, 652 § 4, 759, 796 § 22.
3. Les sources du c. 129
La troisième étape consiste à examiner les sources officielles.
Vous trouverez ci-après la note en p. 34 du code annoté.
2
Pour réfléchir à la relevance juridique de cette expression on peut
encore se reporter à John M. Huels, « The Power of Governance and Its Exercise
by Lay Persons: A Juridical Approach », in Studia canonica, 35, 2001, p.
59-96
3
129 § 1: c. 196
129 § 2: SCConc Resol. 14 dec. 1918 (AAS 11 [1919] 128-133); Pontificia Commissio pro Russia, Ind. 20
ian. 1930; SA Resp. 19 nov. 1947; Pius pp. XII,
All., 5 oct. 1957 (AAS 49 [1957]
927); LG 33; AA 24; SA Decisio,
11 iun. 1968; scris Rescr., 7 feb.
1969; scris Decr. Clericalia instituta, 27 nov. 1969 (AAS 61 [1969] 739-740), Sec. Facul., 1 oct. 1974; EN 73a; scris
Rescr., 26 iun. 1978, 3; scris Resp.
21 aug. 1978; PA 7, 17
Pour le premier paragraphe du c. 129 on ne trouve que le
renvoi au canon correspondant du code de 1917. Pour le § 2 les sources sont
indiquées de manière chronologique, renvoyant successivement d’abord à une
résolution de la Sacrée Congrégation du Concile, un indult de la Commission
pontificale pour la Russie, une réponse du Tribunal suprême de la Signature
apostolique, une allocution du pape Pie XII, puis après les références au
Concile Vatican II, à décision de la Signature apostolique, un rescrit et un
décret de la Sacrée Congrégation pour les Religieux et les Instituts séculiers,
une faculté accordée par la Secrétairerie d’État, l’exhortation apostolique post-synodale de Paul VI Evangelii
nuntiandi, deux réponses de la Sacrée Congrégation pour les
Religieux et les Instituts séculiers et pour terminer la note directive de la
Sacrée Congrégation pour le Clergé Postquam Apostoli. Pour certains
textes le lieu de publication est indiqué, à savoir les Acta Apostolicae
Sedis.
Ce second paragraphe repose essentiellement sur deux textes
du Concile Vatican II Lumen gentium, constitution dogmatique sur
l’Église, et Apostolicam Actuositatem, décret sur l’apostolat des laïcs.
Si pour la bonne compréhension de ce paragraphe du canon, il est important de
(re)lire LG 33 et AA 24, il est sans doute aussi bon de réfléchir
à l’expression institution divine figurant au premier paragraphe. On
peut alors se reporter aux premiers paragraphes de LG 18 et LG 27
et réfléchir à la légitimation et à l’exercice du pouvoir de gouvernement.
II. Notions clefs
Suite à cette étape examinons quelques notions clefs dont
traite ce titre du premier livre du code de droit canonique.
1. For externe et for interne
Le c. 130 affirme que « le pouvoir de gouvernement de soi
s’exerce au for externe ; cependant il s’exerce parfois au for interne seul ».
Le code de 1983 lève ainsi l’équivoque que laissait subsister le c. 196 du code
de 1917 qui divisait le pouvoir de juridiction en pouvoir de for externe et
pouvoir de for interne, pour affirmer clairement qu’il s’agit dans les deux cas
de l’exercice d’un même pouvoir dans deux cadres différents.
1° Le for externe
Le pouvoir de gouvernement s’exerce dans le cadre social et
public de l’Église avec effet non seulement sur les personnes en cause, mais
aussi sur l’ensemble des fidèles.
4
Le c. 130 affirme d’abord que dans son exercice normal le
pouvoir de gouvernement concerne le for externe ou public et ceci, tant en
vertu de sa nature propre que pour des raisons de sécurité juridique.
2° Le for interne
Bien que le code de 1917, c. 190,
utilise comme synonymes for interne et conscience, il ne faut pas confiner le for interne dans
le strict champ de la conscience relevant de la seule morale. Là aussi il
s’agit d’un domaine juridique relevant de l’exercice juridique du pouvoir de gouvernement, mais ayant d’abord en vue le salut
spirituel de la personne dans le cadre, cela va de soi, de l’ordre
juridique et du bien commun. La distinction for externe/for interne ne
s’explique que par le caractère spécifique du droit canonique. En effet la
recherche du bien commun de la communauté juridique que constitue l’Église -
recherche à laquelle participe le droit canonique - ne s’épuise pas dans
l’ordonnancement des relations extérieures au sein de cette communauté, mais
inclut le bien spirituel d’un chacun qui, à son tour, ne se réalise que dans un
rapport entre personne et communauté. Il y a là un champ ouvert à d’inévitables
tensions à l’apaisement desquelles veut aider la distinction for interne/for
externe, étant entendu que celles-ci ne pourront jamais être entièrement
éliminées. Le for interne, à son tour, se distingue en for interne sacramentel
et for interne non sacramentel.
Le for interne sacramentel
Il s’exerce exclusivement dans le cadre du
sacrement de pénitence. Le c. 1079 § 3 par exemple dit : « En cas de danger de mort, le confesseur a le
pouvoir de dispenser des empêchements occultes au for interne, dans l’acte même
de la confession sacramentelle ou en dehors ». Au c. 1357 § 1 on lit : «
Restant sauves les dispositions des c. 508 et 976, le confesseur peut remettre
au for interne sacramentel la censure latae sententiae non déclarée
d’excommunication ou d’interdit, s’il est dur au pénitent de demeurer dans un
état de péché grave pendant le temps nécessaire pour que le supérieur compétent
y pourvoie ».
Le for interne non sacramentel
Il s’exerce en dehors du sacrement de pénitence. Voir à ce
sujet par exemple le c. 1079 § 3 in fine déjà cité à propos du for interne
sacramentel.
Concrètement c’est surtout par sa procédure secrète que le
for interne se distingue du for externe. En effet, dans le cadre du for interne
sacramentel, il y a toujours lieu d’utiliser des noms d’emprunt, de détruire
toute trace écrite; au for interne non sacramentel on garde les noms mais on
les inscrit dans un registre conservé dans les archives secrètes de la curie
(c. 1082). Les actes de gouvernement de for externe, quant à eux, sont inscrits
dans les registres publics, ce qui ne dispense pas de l’élémentaire discrétion
(voir par exemple le c. 220).
Si l’exercice du pouvoir de gouvernement relève de soi du for
externe, on comprendra que l’efficacité des actes juridiques de for interne
soit limitée comme
5
cela a d’ailleurs été demandé par le synode des évêques en
1967 (voir par exemple le c. 130 in fine et le c. 74). Il y va de la sécurité
juridique. Cependant le code en dispose parfois autrement. Ainsi le c. 1082 : «
... et une autre dispense n’est pas nécessaire au for externe, si par la suite
l’empêchement occulte devient public ».
2. Pouvoir ordinaire et pouvoir délégué
La distinction entre pouvoir ordinaire et pouvoir délégué
est fondamentale en droit canonique. Par ailleurs, l’expression ordinaire est
souvent employée en droit canonique.
1° Pouvoir ordinaire
On appelle pouvoir ordinaire celui qui est
attaché par le droit lui-même à un office (c. 131 § 1). Le pouvoir ordinaire peut être, selon le c. 131 §
2 :
-
soit propre,
lorsqu’il est exercé par le titulaire de l’office en son nom propre
-
soit vicarial,
lorsqu’il est exercé au nom d’un autre tout en étant lié à un office ; tel par
exemple l’administrateur apostolique, le vicaire général, le vicaire judiciaire
ou official.
2° Pouvoir délégué
On appelle pouvoir délégué celui qui est accordé à la
personne elle-même sans médiation d’un office (c. 131 § 1). La délégation doit
toujours être prouvée par un écrit (c. 37) ou, à défaut, par deux témoins.
3. L’Ordinaire
Le c. 134 est en soi clair, mais intentionnellement nous en
reprenons toute l’énumération pour que son contenu apparaisse dans toute son
importance. On distinguera d’abord ses trois expressions qu’il ne faut pas
confondre :
1° Ordinaire (c. 134 § 1)
On appelle
ordinaire :
-
le
Pontife romain
-
les
évêques diocésains
-
ceux
qui ont la charge, même temporaire, d’une Église particulière, diocèse,
prélature territoriale, abbaye territoriale, vicariat apostolique, préfecture
apostolique, administration apostolique érigée de manière stable (c. 368)
-
vicaires
généraux et épiscopaux (à savoir ceux qui jouissent du pouvoir exécutif
ordinaire général)
et
- les supérieurs majeurs des instituts
religieux cléricaux de droit pontifical et des
sociétés cléricales de vie apostolique de droit pontifical qui possèdent au moins
le pouvoir exécutif ordinaire.
sociétés cléricales de vie apostolique de droit pontifical qui possèdent au moins
le pouvoir exécutif ordinaire.
6
2° Ordinaire du lieu (c. 134 § 2)
Ce sont les mêmes qu’au c. 134 § 1 à l’exception des supérieurs
majeurs. Dans notre présentation tous ceux qui sont énumérés avant le et.
3° Évêque diocésain (c. 134 § 3)
Cette expression revient très souvent dans le code de 1983.
Aussi le c. 134 § 3 est-il particulièrement important : « ce que les canons
attribuent nommément à l’évêque diocésain dans le domaine du pouvoir exécutif
est considéré comme appartenant uniquement à l’évêque diocésain et à ceux qui,
selon le c. 381 § 2 ont un statut équiparé au sien, à l’exclusion du vicaire
général et du vicaire épiscopal, à moins qu’ils n’aient de mandat spécial ».
Voir par exemple le c. 961 § 2.
4° Ordinaire d’une prélature personnelle
Le c. 134 ne fait pas mention des prélatures personnelles. Mais le
c. 295 § 1 parlant d’un prélat qui « est mis à sa tête comme ordinaire
propre » s’entend pour tous les membres de la prélature personnelle.
Le présent document se compose en grande partie d’une
reprise des pages 45-52 du livret rédigé en commun avec le Prof. Jean Schlick, Principes
généraux du droit canonique, Strasbourg, [Institut de droit canonique],
1990, 73 p. Une version (ET31) en avait été publiée le 14 février 2006 dans l’ABC
de droit canon, ensemble en ligne à l’Université Marc Bloch de Strasbourg
(2004-2011).
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