lundi 12 novembre 2012

La guerre des cloches de Notre-Dame est déclarée



Un prêtre se bat pour empêcher qu'elles ne soient fondues et saisit la justice.

Réduites au silence après deux siècles de tintants et loyaux services, les quatre cloches de Notre-Dame de Paris, décrochées en février dernier en vue de leur remplacement, avaient provoqué une vive émotion en étant promises à la destruction. Elles sonnaient faux, le bronze du XIXe était de mauvaise qualité, elles ne méritaient même pas leur reconversion en objet d'exposition. C'est ce que l'évêché de Paris, dépositaire des cloches, qui sont propriété de l'État depuis la loi de 1905, a invoqué, soucieux d'une complète «restauration du paysage sonore» (d'un coût de 2 millions d'euros) pour le 850e anniversaire de la cathédrale en 2013.
 
Direction, donc, la fonderie Cornille Havard en Normandie où, toujours stockées, Angélique-Françoise (1915 kg), Antoinette-Charlotte (1335 kg), Hyacinthe-Jeanne (925 kg) et Denise-David (767 kg) attendent leur funeste coulée. La polémique s'en serait tenue là si elle n'avait pas pris une nouvelle volée avec l'engagement d'un recours juridique pour stopper cette destinée.
Curé contre archiprêtre
Comble du barouf, c'est une communauté religieuse qui en est l'auteur. Candidat à la reprise des cloches, l'institut religieux Sainte-Croix de Riaumont (Pas-de-Calais) s'est proposé de les récupérer pour leur offrir une deuxième vie mais aussi parce que la communauté, qui construit une abbaye dans un chantier-école avec des scouts, en a besoin. D'une pierre deux coups. «Nous étions dans un cas de vandalisme, “destruction inutile”, comme le définit le dictionnaire, et ce n'était pas acceptable, explique Alain Hocquemiller, le père prieur de Riaumont. J'étais même prêt à les payer pour les acquérir, d'autant qu'il nous en faut pour notre future église. On m'avait fait une estimation basse à 24.000 €.»
 
Par l'entremise de l'Observatoire du patrimoine religieux (OPR) qui veille à la sauvegarde des édifices et objets du culte, la communauté rencontre la Direction régionale des affaires culturelles d'Ile-de-France (Drac), à qui incombe le devenir des cloches. Celle-ci donne son accord implicite, notifié dans un procès-verbal de réunion entre l'OPR, l'abbaye de Riaumont et la Drac, daté du 25 octobre dernier. «En conclusion, Dominique Cerclet (conservateur régional des monuments historiques à la Drac Ile-de-France, NDLR) propose de mener à bien la procédure de déclassement (du domaine public vers le privé, NDLR) et d'estimer les cloches à une valeur symbolique», résume le document. Le père prieur pense alors l'affaire entérinée. Mais voilà que la Drac conditionne la cession des cloches à «l'accord express de l'évêché» sinon «cela ne se fera pas». Or, Mgr Patrick Jacquin, recteur-archiprêtre de la cathédrale et président de l'association Notre-Dame de Paris 2013, «oppose son refus», ne décolère pas le prieur de Riaumont. Les cloches seront fondues, un point c'est tout. La Drac répond aujourd'hui aux abonnés absents, le patron de la fonderie, Paul Bergamo, n'a «pas de directive à ce jour», et l'évêché jure ses grands dieux qu'«il n'y a pas de date prévue pour la fonte», qu'il a «mis de côté cette option», qu'il n'a «pas son mot à dire sur une propriété de l'État», répond-il.
 
Le blocage du dossier et le manque d'explications provoquent «la colère mais surtout l'incompréhension», se désole Béatrice de Andia, présidente de l'OPR. «Mgr Jacquin ne voulait plus ces cloches mais il ne voulait pas non plus qu'elles sonnent ailleurs qu'à Notre-Dame, rapporte le père Alain Hocquemiller de ses échanges houleux avec l'ecclésiastique. Il n'a pas fourni d'argumentaire, juste un entêtement, les relations ont été très violentes.»
Intouchables
Un proche du dossier confie son analyse: «Pour faire passer la pilule des 2 millions d'euros, demandés aux donateurs, pour fabriquer les nouvelles cloches, l'évêché a tout intérêt à dire que les anciennes ne valent pas un clou», dit-il.
 
La querelle de cloches est consommée, la communauté prend un avocat. «Comment peut-on user et abuser d'un bien qui ne nous appartient pas, qui plus est pour le détruire?», interroge Me Philippe Bodereau. Mercredi, il adresse une mise en demeure à la fonderie pour l'enjoindre à renoncer à toute intention de fonte, Riaumont s'estimant destinataire des cloches. Et, dans la foulée, dépose une requête «aux fins de saisie-revendication». La juge en accepte les motivations en se fondant sur le document de la Drac et «autorise la saisie des biens désignés», dit l'ordonnance. Jeudi, un huissier se rend à la fonderie pour signifier la saisie.
 
Désormais, personne ne peut toucher aux cloches, en attendant les prochains arbitrages. En véritable croisé, le père Alain Hocquemiller est déterminé et prêt à décocher d'autres flèches, si besoin. Il vient de fonder l'Association de sauvegarde du patrimoine religieux et liturgique qui «se réserve le droit d'invoquer les articles 322-3-1 et 322-4 du Code pénal», prévient Me Philippe Bodereau. En effet, depuis le 15 juillet 2008, par la loi relative aux archives portant modification du code du patrimoine, la détérioration d'objets ou mobilier du culte est un délit pénal, punissable de sept années d'emprisonnement et de 100.000 euros d'amende…
 
SOURCE - Delphine de Mallevoüe - Le Figaro - 9 novembre 2012

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