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| RésuméLa doctrine canonique enseignée et transmise donne à l’adage   « Ecclesia abhorret a sanguine » une signification   restreinte. Elle valorise les vertus de paix et de douceur de l’Institution   et la juste sanction dont elle frappe les actes personnels de violence   homicide entre chrétiens. Or l’extension des exonérations accordées (légitime   défense contre les hérétiques, office public des Princes libérateurs et de   leurs soldats) montre les limites de l’habituelle traduction de l’adage   latin : « L’Église déteste faire couler le sang. » Le statut   du sang dans le corps du droit canon doit au contraire être restitué lato   sensu : « L’Église hait le sang qui coule. » Le sang est   un agent polluant et toujours contaminant (ainsi que le sperme, autre liquide   vital). La « communion des sangs » lors d’une relation charnelle   (dans ou hors mariage) communique une parenté consanguine d’affinité porteuse   d’interdit incestueux. L’hérésie... et la foi catholique... se transmettent   par le sang (statuts espagnols de pureté du sang). Le sang (comme le sperme)   pollue les lieux saints où il serait émis (accouchement, menstrues) et   contribue à exclure les femmes du Sacré. Acte sexuel – Droit canonique – Femmes – Homicide –   Parenté – Sang. SummaryCanon   Law's Blood : On some Meanings of the Adage « Ecclesia abhorret   a sanguine » Canonical   legal scholars taught and passed on a strict sense for the adage « Ecclesia   abhorret a sanguine ». It highlights the Church's virtues of peace   and kindness and its fair punishment of personal acts of homicidal violence   amongst Christians. However, the number of exonerations granted (self-defence   against heretics, public office of Liberator Princes and their soldiers)   points to the limits of the traditional translation of the adage :   « The Church abhors shedding blood. » The status of blood in the   Canon Law corpus must be understood, rather, in a broad Sense :   « The Church abhors flowing blood. » Blood pollutes and always   contaminates (as does sperm, another vital liquid). « Communion of   blood » during the carnal act (between married or non-married people)   creates a consanguine connection and consequently an incestuous interdict.   Heresy as well as Catholic faith are transmitted through blood (Spanish   statutes of « blood purity »). Blood (like sperm) would pollute   holy places were it flow there (childbirth, menses) and thus contributes to   the exclusion of women from the Sacred. Blood –   Canon Law – Carnal act – Consanguinity – Homicide – Women. « Ecclesia abhorret a sanguine ». Cet adage   du xvie siècle, dans sa traduction littérale [1] « l'Église hait le sang »,   est censé résumer la théologie morale de l'Église catholique en matière   d’effusion de sang. Les commentaires qu’il a suscités de la part des   décrétistes et décrétalistes, des auteurs de traités anciens ou modernes de droit   canon convergent vers une interprétation préférentielle et restrictive où   « l'Église déteste faire couler le sang », valorisant ainsi le   pacifisme, la douceur, la lenitas, la vie en opposition à la guerre,   la violence et la mort. Non seulement cette acception doit être questionnée,   mais encore nos recherches en histoire de la famille et de la filiation nous   ont amenés à tenter de démasquer une acception plus large de l’adage,   porteuse de fantasmes discriminatoires mais permise par une traduction lato   sensu : « l'Église hait le sang qui coule » [2] . De quel sang s’agit-il ? de sang humain.  Le droit canonique conformément à la théologie dogmatique et   morale n’aborde la question du sang du Christ qu’à propos de la pratique   sacramentelle et des risques de violation du vin consacré, de pollution du   vin consacré.  Le sang humain et le sang du Christ s’inscrivent tous les   deux dans la dialectique plus ou moins métaphorique de la vie et de la mort,   ils relèvent de la même acception de liquide vital, l’un entretenant la vie   éternelle, l’autre la vie humaine, l’un la communauté mystique, l’autre la   communauté terrestre. Mais il reste que le sang humain relève du don de Dieu   créateur. Il s’agit de ne point répandre ce don, ni volontairement, ni   involontairement. Volontaire, l’effusion entraîne sanction canonique et/ou   laïque ; involontaire, elle charrie la pollution. Le sang du Christ est pureté, purification, initiation de   l’Homme nouveau. Le sang humain, lui, est chargé de mort potentielle,   d’impureté manifeste dès qu’il s’échappe du corps, qu’il coule à l’extérieur   du corps alors même qu’il accompagne la vie, comme lors des naissances et des   accouchements.  L’écoulement du sang comme du sperme a statut d’effusion   polluante. Les menstrues et autres hémorragies sont polluantes. Le statut des   femmes dans l'Église en est totalement affecté ; leur impureté   potentielle naturelle les éloigne du Sacré, du service du sang pur.   L’écoulement de sperme hors du réceptacle féminin et d'une finalité   reproductrice est pollution. Tout un vocabulaire de la contagion-pollution   qualifie donc la vie sexuelle des catholiques alors que les traités de droit   canonique réduisent soigneusement le domaine de l’adage « Ecclesia   abhorret a sanguine » à l’effusion de sang homicide de son propre   sang ou du sang d’autrui, sur acte individuel volontaire, en l’amnistiant   s’il a lieu sur commandement (quod jussu) de la part du pouvoir   politique  [3] . Le constat précédent élargit donc le champ de l’adage au   droit de la reproduction. On ne peut alors omettre l’analyse des effets    excluants du « mélange des sangs » lorsque ces « sangs »   ne sont pas chrétiens. L’adage dans sa conception restrictive ne réprouvait   que l’effusion homicide entre chrétiens, faire couler le sang des infidèles   relevait d’une obligation exonérante de responsabilité : « Il n’y a   pas de péché pour cela » ; le sang d’infidèle ne doit pas, de plus,   se mêler au sang chrétien, ne doit pas polluer le sang chrétien. Les systèmes   de parentés consanguines, et les trouvailles doctrinales extensives qui les   environnent, nous amènent à ajouter un deuxième adjectif au substantif   sang : humain et chrétien. Nous travaillerons donc tout d’abord l’adage lato sensu   sur trois exemples mettant en évidence le lien sang-reproduction, sexe,   sang et pollution, pour revenir ensuite à l’interprétation stricto   sensu qui offre aussi ses subtilités. L’obéissance au Décalogue « tu   ne tueras point » subit tant d’exceptions  [4] qu’elle permet aux chrétiens d’animer   et de participer aux violences du monde. Arrivés au terme de ce passage sur violence   et sang chrétien, on mesurera les limites de l’exposé qui ne fait   qu’égratigner l’économie générale du sang dans l'Église, qu’ébaucher les   prolégomènes à cette économie desquels nous avons volontairement exclu toute   approche théologique sacrificielle du sang tout en ne nous privant pas de   nous interroger au for interne sur la distinction qu’elle crée  [5] . I. Sexe, sang et pollution : les acceptions masquées de l’adage Sous l’appellation « communion des sangs »,   l'Église désigne un « mélange des sangs » qui serait réalisé lors   de la consommation du mariage ou de tout « acte de chair » pouvant   donner lieu à génération consanguine. Ce mélange des sangs (que l’on tente de   cantonner dans le sacrement de mariage) doit être parfaitement exogame ;   toute union entre parents consanguins et collatéraux éloignés jusqu’au 7e degré  [6] est interdite. Le droit canonique   élargit au cours du Moyen Age le champ de l’interdit incestueux aux unions   entre alliés en ligne directe et collatérale sous le vocable d’affinité   (affinitas), élargissement obsessionnel du champ de l’inceste par   contagion sexuelle. Le sang chrétien peut aussi être pollué par des unions   interdites qui véhiculeraient à l’infini des ferments d’hérésie, de race hérétique.   Les sociétés chrétiennes (catholiques) doivent veiller à la pureté de leur   sang donc de leur foi, et ébrancher systématiquement les rameaux   infidèles. Enfin, le sang comme le sperme (Héritier, 1985) doit   être maintenu ou être déposé à l’intérieur des corps. Toute effusion de l’un   comme de l’autre pollue le lieu où il s’épand et la personne qui le répand. 1. L’affinité, une parenté coïtale Le droit romain classique faisait naître une parenté de   proximité entre un conjoint et les parents de l’autre lorsqu’ils étaient   mariés légitimement, en justes noces, noces selon le droit. Cette parenté de   proximité, tout en créant des empêchements à mariage en ligne directe (comme   entre belle-mère et gendre, beau-père et bru), n’atteignait pas les lignes   collatérales. Le Lévitique exposait des interdictions à mariage entre   parents par alliance directe, tout en soutenant, par le lévirat, le   bien-fondé d’un mariage entre une veuve sans enfant et le plus proche parent   mâle de son mari défunt, quelque soit l’âge de ce parent. L’enfant (souhaité   mâle) né de cette union était considéré comme le fils posthume du mari   défunt. Des conciles successifs sur près de dix siècles abondèrent,   moins sur les interdictions vétéro-testamentaires que sur les textes du   Nouveau Testament (Épîtres de Paul) et la doctrine augustinienne, affirmant   que l’unitas carnis au sein du mariage consommé réalisait la confusion   réelle des corps des deux époux en une seule chair dans un mariage alors   « parfait ». L’affinité, sur ce modèle, quittera l'alliance entre familles   pour être assimilée, par analogie avec la consanguinité, à une communion des   sangs entre deux familles née du fait de la copulation (matrimoniale) entre   deux individus non-parents. « Une affinité (dite   "consanguine") naît de la relation sexuelle ; du mariage non   consommé ne naît aucune affinité. » En termes évidents, il s’agit d’une   contagion de parenté diffusée par la consommation du mariage. En effet, dès Gratien (Causa XXXV, Q.V), la notion   d’affinité va s’élargir au delà de la consommation d’un mariage pour partie   consensuel, pour devenir purement copulative, « l’affinité provient du   coït ». Cette « parenté coïtale » est assimilée à la parenté   consanguine et entraîne des empêchements à mariage, non seulement entre   familles de personnes mariées ayant consommé leur mariage, mais encore entre   familles de concubins ou de partenaires épisodiques ! Le droit   distinguera bien, morale oblige, « l’affinité légitime » de   « l’affinité illégitime » née d’une copula illicita,   mais quoiqu’il en soit « elles doivent marcher du même pas » que la   consanguinité, et connaître la même computation interdisant le mariage au 7e   degré.  Il faut enfin préciser que l’affinité légitime ou illégitime   naît du seul coït « ad generationem » [7] . Tout acte sexuel   « déviant » qui n’aurait pu être procréateur ne crée pas   l’affinité.  Le non-consentement de la femme à la pénétration génitale est   sans effet ; l’affinité naît même d’un viol « génératif » en   puissance  [8]  : car elle découle   d’« une copulation normale sur la femme non consentante, endormie, folle   ou ivre ».  L’interdiction à mariage pour affinité sera peu à peu réduite   dans ses effets mais non dans son essence. Elle descendra au IVe degré en   union légitime et au IIe degré lorsqu’elle est illégitime entre le xiie   siècle et un Concile de Trente qui réaffirme néanmoins qu’elle naît du simple   fait matériel du coït. Dans cet espace de temps, le Corpus canonique s’est   enrichi d’une jurisprudence et d’hypothèses d’école telles que les juristes   les affectionnent. On peut donc observer, et ce jusqu’au nouveau Codex de   1917, l’effet multiplicateur de l’affinité entre branches, l’enchevêtrement   inextricable entre lointaines unions ou relations inconnues des futurs époux. Des conjoints mariés peuvent se retrouver dans des situations   « cornéliennes » mais sanctionnables en droit (Durand de Maillanes,   1746 ; Esmein, 1886), aboutissant par exemple à leur interdire tous   rapports conjugaux et/ou à les séparer de corps suite à la découverte d’un   adultère ancien entre des parents de l’un et de l’autre.  La notion romaine d’affinité liée au seul mariage consensuel   ne réapparaît qu’en 1917-18 dans un Code qui conserve cependant quelques   complications multiplicatrices de la double affinité en particulier lors de   remariages  [9] tout en ne touchant pas à   l’assertion de la « communion des sangs », de la contagion des   sangs lors du mariage. Il faut attendre 1983 pour que les commentateurs   autorisés admettent que l’affinité soit le fruit du mariage et non de sa   consommation, affinité entraînant empêchements en ligne directe à deux   degrés.  Il reste que depuis 1917 sous le joli nom   « d’empêchement d’honnêteté publique » on conserve l’affinité   illégitime des siècles passés, interdisant le mariage entre parents suite à   un mariage invalidé ou (en ligne directe au premier degré) entre familles de   concubins notoires (excepté dispense obispale)  [10] . 2. Pureté du sang, pureté de la FoiNous ne quittons pas le champ de la contamination par le sang   en observant l’exemplarité des canons de l'Église inquisitoriale d’Espagne de   la fin du xve au xviiie siècle et l’arsenal juridique du Royaume très   catholique  [11] . Pour les Inquisiteurs, la parenté   consanguine comme d’affinité charrie, perpétue les caractères dits raciaux   (en fait d’appartenance religieuse) des « bons chrétiens » ou des   malfaisants hérétiques. L’expression « mala raza » formule   clairement l’ascendance hérétique (ereges), l’impureté indélébile du   corps et de l’âme des non-chrétiens comme des convertis au catholicisme. Dès   la fin du xve siècle débute une épuration parmi les descendants des Maures,   des Juifs, puis des Protestants, quelle que soit leur distance de parenté.   Ces descendants « impurs » sont pourtant très souvent intégrés et   bien intégrés  [12] dans les Ordres, les Offices, les   Métiers, la Noblesse (Hidalguia). Chaque Chapitre, chaque communauté ecclésiale, puis chaque   communauté laïque chrétienne va se doter de Statuts de pureté du sang,   visant à éliminer certains de ses membres ou à en refuser le recrutement si   une enquête généalogique trahit le moindre soupçon de consanguinité ou   d'affinité impure  [13] . Les textes des Statuts capitulaires « de Limpieza de   sangre » sont clairs, à commencer par les plus connus, tel celui du   Chapitre de Tolède (1547) ou celui de Salamanque (1548-1559) (Sicroff, 1960)   pris sous l'influence conjuguée de la Papauté  [14] , du Roi et de leurs appareils   répressifs communs. Les xviie et xviiie siècles connaîtront toujours cette   épuration des Corps et des Métiers, cette sélection par la pureté du sang. On prendra tout d’abord pour exemple les Statuts   ecclésiastiques de pureté du sang du Chapitre de Salamanque (Salamenticenses,   1986) L'évêque de Salamanque propose au Chapitre en 1548 d’adopter   le Statut de pureté du sang du Chapitre de Tolède face aux tentatives de   publications hérétiques des œuvres de Luther, œuvres saisies et brûlées sur   ordre de la Sainte Inquisition. « Vous savez bien que l’on tient pour   certain d’après les Inquisiteurs du Saint Office que ces nouvelles et   perverses opinions proviennent des juifs (hebreos) qui n’ont de cesse   de pervertir les lois de l'Évangile... et donc qu’il est juste que les   Églises cathédrales mettent tous leurs efforts pour être elles-mêmes   totalement pures et qu’elles suppriment le moindre brin de risque qui   pourrait desservir Dieu Notre Seigneur ou tacher notre Sainte Foi catholique   et la loi évangélique. ... Et vous savez que de nombreuses Églises ont   accepté ces statuts pour qu’aucun descendant de juif, de maure ou d’hérétique   ne puisse être titulaire de bénéfices... (ainsi Tolède, Séville et   Cordoue). » « ... par suite il vous est demandé, à vous, Frères, de   veiller au Bien et à la Pureté de l'Église, d’en discuter et causer entre vous,   et, s’il appert, poser le Statut comme les Églises précédemment citées l’ont   fait. » Cette première incitation épiscopale fut suivie d’un vote   positif des présents, — à « bulletin secret » par la fève (oui) et   le lupin (non) — sous la condition restrictive que le Statut ne soit point   d’application rétroactive, qu'il ne vise que les futurs candidats à une   fonction capitulaire ; qu’il soit au contraire parfaitement extensif   pour l’avenir, sélectionnant tout le personnel, clerc ou non clerc, tels les   enfants de chœur, les sonneurs de cloches, les bedeaux et l’organiste. Le   scrutin n’ayant pas fait l’objet d’une publicité suffisante, les absents (non   convoqués, volontairement ou non) s’élevèrent contre cette décision et   construisirent une véritable contre-argumentation anti-répressive dénonçant   l’impuissance de l'Église à se protéger de l’intérieur comme à convaincre ses   ouailles.  Toujours est-il que des statuts non rétroactifs furent   définitivement votés en 1559, proclamant la nécessité d’une totale pureté de   sang pour accéder à la moindre fonction cléricale ou laïque dans le Diocèse.« Qu’aucun descendant de juif, ni de race maure ou d’hérétique puisse   être bénéficiaire dans ses Églises. [...] s’il n’est ancien chrétien de toute   part sans tenir ni descendance, ni soupçon de descendance, d’hébreu, de   mahométan, de condamné au feu ou de réconcilié devant la Sainte Inquisition.   [...] qu’ils soient nobles ou fils de nobles. » Une fonction (lucrative) se développe alors en Espagne :   celle de généalogiste-enquêteur de la pureté du sang. Le Chapitre de   Salamanque comme tous les autres Corps prévoit les services d’un tel   enquêteur (élu par le Chapitre en son sein ou non, assermenté sur les Saintes   Écritures, rémunéré...) qui se déplace « sur le lieu de naissance et de   résidence de l’enquêté, ou en tout lieu où il pourra obtenir la vérité ;   et là il s’informera auprès des personnes qui sont anciennes chrétiennes de   pureté et de lignage ainsi que l’a défini la mission du Chapitre ». Il   commencera par interroger les hommes, et s’il n’y en a pas ou pas assez, les   vieilles femmes. On connaît des éditions nombreuses (jusqu’en 1830) de ces   guides et manuels d’enquêteurs de la pureté du sang chargés de verrouiller   les accès aux Corps de la Société ibérique  [15] . Ainsi au début du xviiie siècle, Le   bréviaire de l’enquêteur (Lambert Gorges, 1983) propose un   questionnaire-type en huit points pour filtrer les entrées dans l’Ordre de   Saint Jacques de Compostelle en 1702, auquel s’ajoutent d’autres conditions   de normalisation comme être né d’un mariage légitime, de parents n’exerçant   pas un vil métier [16] , et n’ayant jamais été condamnés.   Nous en extrayons le point 4 révélateur de l’extension génétique et génésique   du religieux, de la transmission de l’errance par le sang et le sperme, comme   de la précarité de la preuve inquisitoriale : « De même s’ils (les   témoins masculins) savent, croient ou ont entendu dire que ses parents,   grands-pères et grands-mères sont ou furent tenus et communément réputés   comme vieux chrétiens, purs de toute race de juif, maure ou converti à un quelconque   degré (dont ceux d’affinité), aussi loin que l’on peut remonter, sans qu’ils   aient entendu la moindre chose contraire sur ces noms... » Les Corps de métiers, les Confréries, les Sociétés, les   communautés familiales pratiquent cette sélection généralisée à l’entrée,   voire à l’intérieur du groupe. Des Marchands de draps de Barcelone aux   Orfèvres de Valence, des Cordonniers de Séville aux Tailleurs de Madrid,   toutes les communautés se ferment au sang réputé impur, ce qui est   (Bennassar, 1979) aux origines du retard économique et de l’isolement de   l’Espagne dans l’Europe des xixe et xxe siècles.  Par exemple à Barcelone au xviiie siècle il est encore   « bon d’enquêter pour savoir si le candidat est descendant de bons   catholiques, purs de sang, sans tache ni macule sur leur christianité, ou si   ses pères et ancêtres dans les deux lignes ont été des pénitentiels de   l’Inquisition ou présentés à une autre justice ». Tache, macule quasi   imprescriptible et indélébile au delà de l’enquête par témoins grâce aux registres   de la sévère mémoire écrite de la Justice inquisitoriale. Plus tard encore, en 1761, les Orfèvres de Valence estiment   que « le plus important est de faire la preuve authentique et fiable   d’être de vieux chrétiens, purs de toute mauvaise race de juifs et de maures,   et de n’avoir pas été châtiés par l’Inquisition ». Comme le rappelle   l’introduction aux Sociétés fermées ibériques déjà citées :   « La foi chrétienne n’est plus considérée comme une vertu, un acte   personnel, mais comme un phénomène conditionné par une race transmise par le   sang. » 3. L’émission polluante de sang et/ou de spermeTout ce qui sort du corps est perte, danger, mort.   L’expulsion du sang des menstrues ou de l’accouchement, l’écoulement du   sperme « hors du vase des générations » sont polluants. Ceux qui   les émettent sont impurs, les lieux et les objets qu’ils touchent le   deviennent. Il en est ainsi des lieux consacrés et des églises. On attend là   quelques développements sur l’impureté des femmes, et sur (moins connue) la   contamination des lieux sacrés et de ses desservants. L’impureté contagieuse des femmes prise en compte par   le droit canon s’inscrit dans le droit fil de la tradition   vétéro-testamentaire ; mais elle constitue encore de nos jours un   argument théologique majeur (bien que partiellement dissimulé) du refus   d’ordonner des femmes, ou de les laisser accéder à des fonctions ecclésiales   mineures. Ce n’est alors pas le sang qui est impur, mais la femme qui le   laisse sourdre. « C’est un être qu’on éloigne et dont on s’éloigne pendant   des semaines, des mois ou des années selon le cas et qui garde quelque chose   du caractère qui l’isole même en dehors de ses époques spéciales  [17] . » De la Genèse (XXXI, 31-36) on connaît l’épisode de Rachel   dérobant les idoles de son père et les cachant sous elle dans sa litière lors   de son départ avec Jacob. Elle sait qu’on ne pourra la fouiller :   « Que Monseigneur ne voie pas avec colère que je ne puisse me lever en   sa présence, car j’ai ce qui est coutumier aux femmes. » On en   rapprochera, des siècles après, le fait que le couvre-chef d’un Tzigane ne   puisse plus être porté si par mégarde une femme s’assoie dessus (Roux, 1988). Dans le Lévitique (XX, 18), l’homme qui couche avec une femme   pendant ses règles ou « découvre sa nudité »... a mis à nu la   source de son sang, « tous deux seront retranchés du milieu de leur   peuple » (exclus voire punis de mort). La femme parturiente est mise à   l’écart de la communauté, elle n’accouche pas dans la maison pour ne pas la   souiller mais dans une crèche, une étable. Elle y restera 7 jours si elle   accouche d’un garçon, 12 si elle accouche d’une fille par addition   d’impureté  [18] . Elle procédera ensuite à des   rites de purification durant 33 jours pour un garçon, 70 pour une fille  [19] .  Trois évangiles concordent pour enseigner que Jésus récuse   cette mise à l’écart et cette impureté contagieuse. Il faut relire en   particulier le récit dit de la guérison de l’hémorroïsse qui, atteinte de   pertes de sang depuis 12 ans, a été guérie par Jésus-thaumaturge après   qu’elle l’eût touché et prié (contaminé d’après la Loi). La notion d’impureté   naturelle des femmes aurait donc pu disparaître ou s’affaiblir, or elle   revient en force dans le thomisme et la dogmatique mariale (Frauen Lexicon,   1988). Thomas d’Aquin donne autorité à l’idée que le sang des règles   est du sperme incomplet, de la semence faible : la femme n’est-elle pas   un « mas occasionatus », un mâle accidenté, raté... D’autre   part ce sang qui coule sans qu’elle puisse le maîtriser, ne trahirait-il pas   une faiblesse naturelle de raison ? Enfin ce sang n’est pas fécondant,   d’ailleurs lorsque naît une fille c’est bien la conséquence d’un accident de   sperme, faible et corrompu comme celui d’une femme. Quant au sang de   l’accouchement c’est un sang polluant, polluant des églises et des lieux   sacrés et des maisons. La Vierge Marie se doit d’avoir échappé aux jours critiques,   à la fécondation-contagion comme à l’accouchement-pollution. C’est bien ce   qu’inscrit crûment le Concile de Latran I dès 649 dans un texte   révélateur : « Si quelqu’un ne reconnaît pas la glorieuse mère de   Dieu toujours vierge et immaculée comme l’ayant conçu et enfanté sans   corruption, conservant sa virginité inviolable même après l’enfantement,   qu’il soit anathème. » Le Corpus enseigne qu’une femme ne peut donc exercer de   fonctions spirituelles, ne peut ni prêcher, ni enseigner qu’elle soit   religieuse ou abbesse ; son impureté permanente (plus que potentielle)   la poursuit jusqu’à lui interdire d’encenser l’autel, de toucher aux vases   sacrés, de servir la messe. Le Code de 1917 leur permet seulement de répondre   à la messe sans s’approcher de l’autel et en l’absence de desservant masculin   (Can.813 §2) et leur rappelle qu’elles doivent occuper à l’église des places   distinctes de celles des hommes, avoir la tête couverte et être modestement   vêtue (Can.1262 §1). Le Code de 1983 réaffirme non seulement l’exclusion du   sacrement de l’Ordre, de tout office emportant pleine charge d’âme, de   ministères stables tels l’acolytat ou le lectorat... mais maintient l’interdiction   du service d’autel durant la messe, à tout moment  [21] . L’effusion de sperme comme de sang entraîne pollution des   lieux sacrés. Le Sexte, livre III, titre 21 y consacre plusieurs canons. L’effusion volontaire et coupable de semence humaine entraîne   pollution de l’église, qu’elle provienne d’une masturbation solitaire ou du   rapprochement des époux. Si une église est polluée par du sang ou du sperme, le   bâtiment devient impur et doit être purifié selon un rituel bien précis,   celui de la « réconciliation ».  Est polluée l’église où meurt un suicidé même si son mode de   suicide n’a pas fait couler son sang, car la mort est référée au sang versé,   à l’équivalent du liquide vital répandu. N’est pas polluée par contre une   église où se réfugie un homme blessé « innocent » qui saigne mais a   été frappé en dehors du bâtiment ; tandis qu’une personne blessée dans   l’église pollue jusqu’au cimetière contigu.  Par contagion un cimetière pollue par le sang et par le   sperme l’église contiguë (et réciproquement). Tant que ces lieux ne seront   pas reconsacrés, aucun culte et sacrement ne pourra y être distribué,   personne ne pourra y être chrétiennement enterré. Enterrer un hérétique au   sang impur pollue de la même manière cimetière et église jusqu’à purification   des lieux. Le clerc qui aurait sciemment célébré la messe dans une église   polluée par effusion de sang violente ou par des menstrues ou par la présence   d’un excommunié est donc irrégulier. Par contre une exécution capitale dans une église sur   ordre de l’autorité civile ne polluerait pas, car il s’agirait là d’un acte   de légitime défense posé au nom de la société, ce qui nous ramène aux   nombreuses et profondes contradictions entre le principe « Ecclesia   abhorret a sanguine » stricto sensu et les violences sociales   acceptées et/ou légitimées. II. Sang et violence : ou des acceptions  | |||||||
| ** Université de Nantes, URA CNRS 1154 « Droit et Changement social », Chemin de la Censive du Tertre, F-44036 Nantes cedex 01. 1. Nous proposerons des traductions libres des textes   canoniques latins ne comportant pas d’édition française contemporaine et des   textes espagnols sur la pureté du sang. 2. Nos sources relèvent essentiellement du Corpus juris   canonici fixé en 1580, composé du Décret de Gratien, des Décrétales   pontificales de 1187 à 1234, du Sexte ou 6e Livre de Boniface VIII 1234-1298,   des Clémentines de Clément V (1298-1317), des Extravagantes de 1484. Cet   ensemble de règles ou canons ordonne en principe (malgré de forts espaces de   désuétude) le comportement des clercs et des laïques chrétiens, la vie   sacramentelle des communautés et leurs rapports avec les cités séculières   jusqu’à la promulgation du Code de droit canonique de 1917 (remanié après   Vatican II et mis en application récemment -1983-) et des commentaires et   traités anciens et modernes référés en bibliographie. 3. Les grands instruments de travail tels le Dictionnaire   de théologie catholique, Le Dictionnaire de droit canonique   reflètent cette orientation par leurs entrées : au mot Sang on trouve   Sang du Christ ou Guerre, Soldats. 4. La dernière et non des moindres étant l’acceptation   de l’éventualité de la peine de mort dans le nouveau Catéchisme (1992). 5. Toute la théologie du Sacrifice serait en cause. Lire   Drewermann, Les fonctionnaires de Dieu, 1993, par ex. p. 94-95 et 241,   ou le terrible descriptif des Flagellants de l’abbé Boileau (1732). 6. 7° degré canonique aligné sur le comput romain,   auparavant le comput canonique par personne et non par degré interdisait le   mariage entre parents à un 14° degré. 8. Rappelons que la qualification du viol supposait (et   ce en France jusqu’à la loi de 1980) un acte de pénétration génital   hétérosexuel. On ne peut aussi manquer d’évoquer les prises de position   pontificales et ultramontaines de certaines églises face à l’avortement des   femmes violées, irlandaises ou bosniaques. 10. Codex juris canonici, 1917, Can.1076 et 1078.   L’affinité en ligne directe est un empêchement dirimant à mariage à tous   degrés, en ligne collatérale au deuxième degré inclusivement. L’empêchement   d’affinité est multiplié autant de fois que l’empêchement consanguin dont il   procède par le mariage avec un parent consanguin d’un époux défunt.   L’empêchement d’honnêteté publique naît d’un mariage invalidé, consommé ou   non, et d’un concubinage public ou notoire. Il dirime le mariage en ligne   directe au 1° et 2° degré entre hommes et consanguins de la femme et vice   versa. Code de droit canonique 1983, Can.1092 : l’affinité en ligne directe dirime le mariage à tous les degrés ; Can.1093 : l’empêchement d'honnêteté publique naît d’un mariage invalide après que la vie commune ait été instaurée (retour à la consommation-contagion?) ou d’un concubinage notoire ou public ; et il dirime le mariage au premier degré en ligne directe entre l’homme et les consanguins de la femme et vice versa. 11. Les ouvrages et articles sur la question sont   multiples et récents, c’est un domaine très vivant de publication de sources   en Espagne et par les laboratoires d’études ibériques français. 12. Ce qui traduit souvent aussi une volonté politique   d’exclusion de certains opposants au régime auxquels on « trousse »   une généalogie impure. 13. Trois enquêtes successives et négatives dans une   famille vaudront généralement « certificat de pureté de foi » au   XVIIe siècle mais cet usage connaît encore des exceptions. 16. Métiers vils : banquier, comédien, artiste,   modèle, bourreau ... ; naissances viles : descendants des   précédents et de bâtards, voleurs et criminels. 18. 12, nombre symbolique dans les Évangiles :   l’hémoroïsse a des pertes de sang depuis 12 ans, la fille de Jaïre guérie par   Jésus a 12 ans, peut-être n’est-elle pas réglée. 19. Ensuite elle apportera au prêtre à l’entrée de la   tente un agneau d’un an et un pigeon pour que soit pratiqué sur eux le rite d’expiation :   sang pour sang, le sang animal qui coule la purifie de son flux de sang. 20. Cf. aussi la pratique de l’éviction de la   parturiente et de l’accouchée hors la pièce commune au Moyen Age. 21. SCS (Sacrée Congrégation pour les Sacrements)   « Inestimabile Donum », n° 18, 3 avril 1980 : AAS (Acta   Apostolica Sedis) 72, 1980, 338, contrairement à des pratiques paroissiales   concrètes fort répandues. 23. Sanctions spirituelles telles les exercices de   piété, la censure, l’irrégularité, la déposition, la dégradation ;   sanctions temporelles telles les aumônes et amendes, la perte du fruit d’un   bénéfice, le bannissement, la prison, le fouet, les galères ; et enfin   l’excommunication. Lorsque le crime est énorme, la justice ecclésiastique ordinaire - celle de l'évêque par son official - défère le clerc ou tout autre auteur, au bras séculier. 25. À propos des excès mystiques, on renvoie à la note 5   supra ; lire aussi le chapitre sur les blessures volontaires de   J.P. Roux (1988) en particulier sur les castrats russes « les pigeons   blancs ». 26. Cf. Codex de 1917, Can. 985 §5 (irrégularité ex   delicto), 1240 §1 (privation de sépulture chrétienne), 2350 §2   (suspension ad tempus). Code 1983, Can. 1041 (irrégularité de   l’auto-mutilé, et tentative de suicide). 27. Pierre de Fontaines, « Les vilains ne savent ce   qu’est honneur et ne sont mie is tenu de le garder ». T.A. Coutume de   Bretagne « ...ils (les nobles) doivent mieux savoir les droits et les   coutumes, la raison, le bien et le mal. » Bartole exprime l’idée que les   vilains sont comme les soldats, les paysans et les femmes, des ignorants du   droit (donc dépourvus de la raison qui permet d’apprécier une juste cause). 28. Mais inapplicable. Les tournois et autres joutes,   luttes, pugna seront définitivement condamnés au XVIIe siècle par   application extensive d’une Constitution de Pie V interdisant les combats   entre les hommes et les bêtes, et non entre les hommes... 29. Puis à dispense ordinaire dans le Code de 1917. On   en est encore à dénier à un clerc brancardier, durant la grande boucherie de   la première Guerre mondiale, la possibilité d’utiliser un scalpel, un   bistouri, un instrument qui coupe même s’il soigne ! Ainsi il faudra   attendre 1936 pour que la Sacrée congrégation pour la propagation de la Foi   autorise les religieuses missionnaires à apprendre et pratiquer l’art de   l’accouchement. La même avait permis aux ordinaires des missions depuis 1701   de pratiquer l’incision peu grave ou la cautérisation par brûlure à partir du   moment où il n’y avait pas de risque mortel ou de mutilation d’un membre.   Mais qui soignent-ils ? des indigènes... 30. En effet cette exonération est inutile car sans   objet lorsqu’il s’agit de la mise à mort d’un infidèle : ce n’est pas -   par nature - un homicide. Le chrétien n’encourt aucun risque   d’excommunication lorsqu’il tue ou blesse un hérétique. | |||||||
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lundi 8 août 2011
Le sang du corps du droit canon « Ecclesia abhorret a sanguine »
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