Il y a peu de jours, un éminent professeur
de la Faculté de droit de Paris, en se
livrant, sur un point spécial, à une comparaison du droit ancien avec la
législation moderne, faisait une
excursion sur le terrain de l'histoire. Il s'agissait du crime de
lèse-majesté au premier chef. « Jadis, disait-il, la seule pensée en était punie de mort. Quiconque avait
connaissance d'un complot, devait
dénoncer celui qui le tramait, sous peine d'être traité de la même façon. Et les prêtres se trouvaient dans l'obligation,
ou de trahir les secrets de la confession, ou de subir la peine capitale. On le voit par l'exemple de ce gentilhomme
qui, malade à l'extrémité, s'étant confessé d'avoir eu la pensée de tuer le roi
Henri II, et le confesseur ayant donné avis au procureur général, fut condamné
à avoir la tête tranchée aux halles, ce qui fut exécuté *. »
Je n'ai pas le
dessein de contester la première partie de cette assertion que la seule pensée
du crime ccétaitpunie de mort, » et je n'aurais rien à dire, si l'honorable
professeur n'avait cité que des exemples tel que ceux-ci ;<c 1° Un novice carme,
à peine
1 M. Ortolan à son cours du 16 janvier 1868. C'est ainsi que
peuvent se résumer les notes que plusieurs
de ses auditeurs ont bien voulu nous communiquer. Il faut dire tout de
suite que l'esprit de haute impartialité de M. Ortolan lui faisait ajouter : «
Du reste on a vu des prêtres courageux préférer
mourir, plutôt que de manquer à leur devoir. » Cf. Eléments de droit pénal,
2e édit., p. 245, en note, 3e édition, l. I, p. 434,
note 1.
522 REVUE DES
QUESTIONS HISTORIQUES.
à Tâge de douze ans, fut pendu à Chartres, en
exécution d'un arrêt de
novembre 1591, pour avoir dit, tenant un couteau, et jouant parmi des enfants de son âge, qu'il pourrait bien renouveler le coup de Jacques Clément; 2° Un
vicaire de Saint-Nicolas-cles-Champs,
condamné, par arrêt du 11 janvier 1595, à être pendu pour avoir dit
qu'il se trouverait quelqu'un de bien, comme
frère Jacques Clément, pour tuer Henri IV, ne fût-ce que lui4. » On pourrait même ajouter quelques autres faits rapportés par certains auteurs. Mais il
n'entre pas dans mon sujet d'en examiner la valeur et l'authenticité; je
les admets provisoirement, et les tiens
pour exacts.
C'est la seconde des
assertions de M. Ortolan : ce Les prêtres se trouvaient dans l'obligation ou de trahir
les secrets de la confession ou de subir la peine capitale, » que je demande la
la
permission d'examiner ici. Dans une étude rapide, je montrerai que l'Église,
qui a établi la confession, a exigé de celui qui la reçoit un secret absolu ; que
depuis la fondation du christianisme, il en a été ainsi; puis, passant de la
loi générale de l'Église aux lois spéciales de l'État, j'établirai leur accord complet, et j'examinerai avec soin chacun
des faits allégués et sur lesquels s'est
appuyé l'éminent professeur.
Trente années
d'enseignement, un caractère élevé, des travaux pleins d'érudition et partout estimés,
ont donné à M. Ortolan une notoriété que nul ne conteste. Cette haute
position ajoute aux
assertions qui ont été produites une autorité de plus. Je me plais à espérer que ces assertions ne seraient pas maintenues, s'il était démontré que la religion
de M. Ortolan a été surprise par des
allégations contraires aux faits et à la vérité historique.
L
L'Église a toujours
environné la confession des plus grandes garanties, et imposé à ses ministres
l'obligation de garder un secret
rigoureux sur les aveux qu'ils reçoivent. Dès les pre-
1 lbid+} loc cit.
— Au cours suivant, M. Ortolan
sur la demande de quelques étudiants,
répéta les mêmes choses, et renvoya au Traité de justice crim. de Jousse,
t. IH, p. -697.
* LE
SECRET DE LA CONFESSION. 523
miers siècles de l'Église, c'était une
doctrine incontestée : pour rappeler
la parole de saint Augustin, le prêtre « doit savoir moins ce qu'on lui a avoué que ce qu'il ignore *. »
A diverses reprises,
les conciles s'occupèrent de cette question. Les canons qu'ils promulguèrent, et qu'il importe de rapporter, ne laissent planer aucun doute, aucune
incertitude sur ce point. Le
quatrième concile de Latran, tenu sous le pontificat d'Innocent III, s'exprime en ces termes : Caveat omnino sacerdos ne verbo, vel signo, vel
aliquovis modo, prodat aliquatenus peccatorem... quoniam qui peccatum inpœnitentiall
judicio sibi detectum prsesmnpserlt revelare, non solum a sacer-dotali officio
deponendwn decemimus, verum etiam ad agen-dam perpetuam pœnitenUam in arctum
monasterium detru-dendum2.
Cette prescription du droit
ecclésiastique a été depuis rappelée en toutes occasions; elle figure dans les recueils des lois canoniques 5. Partout
comme en France, elle fut reçue sans
aucune contestation, et toujours, les théologiens y ont; vu un motif de plus pour engager les hommes
à se confesser avec une plus entière sincérité4.
A côté du concile
œcuménique qui vient d'être rapporté, et qui prononçait des peines sévères contre les
prêtres prévaricateurs, se
placent naturellement les conciles particuliers et les synodes provinciaux. Les
uns insistent sur la règle, pour que jamais, en aucun lieu, elle ne soit mise
en doute; les autres appuient sur la peine à infliger aux coupables. Ainsi le quatrième canon du concile de Dalmatie prive
de leurs bénéfices les prêtres qui
révèlent quoi que ce soit de la confession5 ; celui de
Pennafielles condamne à la prison perpétuelle ainsi qu'au pain et à l'eau6.
En Angleterre, le prêtre devait être
1 «
Illud quod per confessionem scio, minus scio, quam illud quod nescio. » S. Aug.
sup. Psalm. s A. 1215. Cap. iv. Can. 21. Labbe, t. XI, col.
173.
3 Corpus Jur. Can. de Pœn. Distinct VI, can. 1 et 2. Ce
dernier canon est
attribué au Pape Grégoire vers l'an 600.
4 Odo Parisiensis, constit, xne s. in fine, cité par les Conférences
d'Angers,
t. XIIIj p. 435. —S. Thom. Summ.
add. qu. xr, art. I et ss. — Sentent. IV, etc.
5 A. 1199,
sous Innocent III. Concil. Dalmat., IVe can. Labbe, t. XI, col. 9.
6 A, 1302. « Ne excessus tanti criminis transeat
impunitus, statuimus et
mandamus, quod sî qui tam nefandi
criminis rei inventi fuerint, tanquam
déportât! et in metallum damnatï
perpetuo carceri mancipentur, pane et aqua
pro Vitaa sustentatione solummodo
reservatis. » Concil, Pennaf*, can. V.
Raynaldi, t. TV. A. 1302, xxxi.
524
REVUE DES QUESTIONS
HISTORIQUES.
dégradé sans rémission1, et à
Mayence, la prison était édictée de nouveau2. Pour parler plus
spécialement de la France, le concile de Reims, en 1338, prescrivait également la
prison perpétuelle3. Le synode de Langres, en 1404, reproduisait pres-qu'intégralement le
canon du concile de Latran4, et également celui de Troyes 5.
En 1524, le Synode de Sens croit utile de rappeler de nouveau le principe en des termes
cpiine peuvent laisser aucun doute6. Quatre ans après, le concile provincial
de Bourges
insiste également sur ce point7. Enfin, le Synode de Paris, en 1557,
rappelle, à son tour, les peines qui doivent frapper le délinquant8.
Cette insistance des évoques de France arrive merveilleusement à son heure, comme
pour protester, un
demi-siècle par avance, contre l'interprétation erronée qu'on devait plus tard
donner à la loi, dans le cas de lèse-majesté,
à l'occasion d'un attentat qui venait de se commettre. Je veux parler du cas spécial mis au jour par le
procès de Jean de Poitiers. Plus
loin, il y aura lieu d'y revenir en examinant le fait lui-même.
Ce qu'il importait
dès maintenant d'établir, c'est le soin que l'Église a pris, par la voix de ses conciles,
de ses Pères, de ses Docteurs, d'entourer le secret de la confession de toutes
les garanties
en son pouvoir. Jamais, en aucun cas, ni un mot ni un signe ne doit
donner à entendre quoique ce soit de la con-
1 A.
1330, a Sine spe reconciliationis non immerîto débet degradari. »
Dan, III, Goncil. Lamheth. Labbe, XI, col.
1786.
2 A. 1549. «
Sigillum frangens ad perpetuam carcerem in monasterïo dam-
natur. » Gan. XXIX3 Mogunt., Labbe, t. XTV, col. 678.
3 « Sine
misericordia in carcere ad agendam pœnitentiam perpetuo manci-
petur. » Goncil. Remense.
Boucliel, Décret. eccL Gallic, 1. II, c. 158., Paris,
1621. — Gonfér.de Luçon. Paris, 1699, t. VI, p. 337.
* V. Bouchel,
c. 165.— Gonf. de Luçon. p. 337.
5 «
Ab omni officio sacerdotali deponatur et sine misericordia in carcere ad
agendam pœnitentiam perpetuo mancipetur. » Bouchel, 1. II, c. 174.
6 A.
1524. « Obligantur sacerdotes omnes et singuli triplice jure videlicet
naturali, divino et humano, celare peceata quœcumque revelata et dicta in
confessione sacramentaïï, quœ tanto et tali débet claudi sigillo, ut nullo casu
nec verbo, nec sîgno aliqualiter reveletur aut revelari existimetur. » Synod.
Senon. Bouchel, Décret. eccL Gallic, 1. -Il^ch. clxxi. — Gonfér. eccl.de Luçon,
t. VI, p. 324. — Gonfèr.
d'Angers, Paris, 1830, t. XIII, p. 435.
7 A.
1528. « Ne confessores révèlent... aliquid in confessione detectum. »
Gan. XII, Gonc. prov. de Bourges. Labbe, t. XIII, col. 427.
8 «
Gaveat sacerdos ne quavis occasione peccatum divulget : quod si faceret
praeter disjectionem à suo munere perpetuo carcere mancipabitur. » Bouchel,
1. II, c. 172.
LE SECRET DE LA CONFESSION.
525
fession sacramentelle1.
L'Église s'est [ici [montrée rigide et scrupuleuse à ce point que, non-seulement
[le prêtre est tenu au secret de la confession sacramentelle, mais que
quiconque aurait,
fût-ce par hasard, entendu ou surpris quelques mots des aveux du pénitent,
se trouve dans l'obligation formelle de les taire 2. Le secret de la
confession lui est également imposé, et en cas de révélation son sacrilège n'est pas
moins coupable.
Toutefois cette
confession sacramentelle, consistant dans l'aveu de ses fautes et de leurs circonstances, et ayant pour but d'en obtenir le pardon de Dieu, les conciles,
comme les théologiens, ont pris
grand soin de la distinguer des aveux d'une autre nature. Il en est ainsi de la communication faite, même sous
le sceau du secret, en dehors de la confession, à un prêtre que Ton estime de bon conseil et capable de'garder3 le
secret. Le prêtre n'est plus ici à
la place de Dieu; c'est comme homme qu'il a connaissance du fait4.
Il en est de même encore, et ceci est
évident, du cas où. le pénitent lui-même, bien qu'en confession, prie le prêtre
de révéler tel ou tel fait dont il s'accuse5.
Il ne faudrait pas penser que les peines
édictées par les conciles n'aient jamais été
appliquées. Presqu'aucune violation du secret de la confession ne s'est
produite; pourtant un exemple s'en trouve
rapporté dans la vie de saint Thomas de Villeneuve. Et si jamais il pouvait, à ce crime « si atroce, » se trouver une excuse ou des circonstances
atténuantes, elles auraient dû être admises dans cette occasion.
Un assassin vint
confesser son crime au frère même de sa victime. Le confesseur, connaissant ainsi le
meurtrier, ne sut pas étouffer le cri du sang, et, sur sa dénonciation, la
justice s'empara du coupable. Condamné par le juge, il allait être exécuté, lorsque
le saint archevêque, instruit du fait, s'émeut. Il accourt, soutient que. la
seule preuve qui existe, provenant de la viola-
i Cf. Décret de Clément XIII du 16
mai 1594, et decr, S. Gong, inquisit, en 1682, publié par ordre d'Innocent XI.
2 « Huic
assertioni unanimi calculo suscribunt Theologi. » S. Charles Bor-
romée, De pceniteniiâ, éd. Migne, col. 1257.
3 Summ. S. Thom. add. q. xi, art. 2. — Voy. Conférences de Luçon,
loc. cit.
*
Mais il en résultera un secret plus grand que jamais. « Sacerdos tenetur ex
promissione hoc modo cœlare ac si
in confessione haberet, quamvis sub sigillo confessionis non
habeat. » S. Thomas, ibid., in fine. 8
S. Thom. Summa, add. q. xi, art. rv.
526
REVUE DES QUESTIONS
HISTORIQUES.
tion du secret de la confession, n'est point
reeevable, qu'elle est nulle de plein droit. Il expose les lois formelles de l'Eglise,
l'accord unanime des canonistes, et parvient par son insistance à faire relâcher le
prisonnier, comme ayant été condamné sans preuves. Quant au prêtre
prévaricateur, il fait prononcer contre lui les peines canoniques, l'interdit, le
condamne à la prison perpétuelle, lui faisant même observer qu'il avait mérité
ce les galères
perpétuelles. »Àu bout de trois années seulement, ces rigueurs
s'adoucirent. Touché de la piété, de la soumission et du repentir du
pénitent, le saint lui permit peu à peu de fréquenter l'église du lieu de sa
détention, d'assister aux offices; mais il maintint en même temps contre lui
l'interdiction de dire la
messe et d'entendre des confessions *.
Si l'Église veillait
à la stricte exécution de ses règles sur le secret de la confession et les insérait dans
le code ecclésiastique, elle
était loin de méconnaître la gravité de certains crimes spéciaux. Tout en recherchant la réconciliation des coupables avec Dieu, elle ne voulait pas les
innocenter quand même aux yeux des
hommes, et leur assurer toute impunité; mais les preuves de leurs crimes devaient se rechercher et se rencontrer en dehors de la confession
sacramentelle.
Le droit romain
contenait des règles précises et sévères 2, et Ton ne pensait
pas que la majesté de Dieu et des rois fût moins digne et moins sacrée que celle des
empereurs. Les lois ecclésiastiques, en reproduisant la plupart de ces règles,
prévoyaient
et punissaient les crimes de lèse-majesté. Elles y avaient promptement
assimilé l'hérésie et la simonie, comme crimes de lèse-majesté divine. Il ne paraîtra
pas sans doute téméraire d'affirmer que la législation civile s'est, par la suite, fort bien accommodée
des lois ainsi transmises. Surbeaucoup de points, il ne faut jamais l'oublier, <c
le droit canonique et les institutions
de l'Eglise figurent comme éléments de l'ancien
* Bolland, Acta Sanct. Vita S. Thom. à
VilL, 18 sept., t. V, sept. p. 894 à 896,
surtout le n°300. — Le fait est également consigné dans Roderigue Acugna, de Gonfess. q. 33, n° 38. — Schoonaerts, Examen confessarior,, Douai, 1762, p.
264-265. — Après le récit de la peine infligée au prêtre coupable, on peut être
surpris de lire dans Brillon, Met. des Arrêts, V° confession, que S. Thomas « fit punir le confesseur légèrement,
en considération de ce qu'il avait
d'abord avoué son crime, et de l'occasion qu'il avait donnée de faire voir un exemple de la vénération que les juges mêmes
doivent avoir pour les confesseurs. »
2 G* ad Legem Juliam Majestatis, 1. IX, t. Vin.
LE
SECRET DE LA CONFESSION. 527
droit pénal, en ce qui touche soit la pénalité, soit les juridictions
pénales, soit la procédure pénale '. » En ce qui touche le crime de
lèse-majesté, on peut constater l'identité parfaite entre les règles canoniques
et celles des juristes civils, dont, tout à l'heure, j'aurai à indiquer les
décisions. C'est d'ailleurs la pente naturelle des choses que d'accepter des
législations antérieures les règles qui sont conformes à l'esprit public, et
qui répondent aux besoins généraux.
Je ne saurais trop insister sur ce point.
Dans le Corpus juris canonial les règles coexistent dans leur intégrité.
D'un côté l'obligation du complet et entier secret de la confession sacramentelle,
de l'autre les règles relatives aux crimes de lèse-majesté : nulle part on n'y
rencontre, à l'occasion de celles-ci, une exception aux premières, quelque
minime et restreinte qu'elle puisse être.
Jamais dans aucun traité les caiïonistes et les théologiens n'ont eu la
pensée d'en imaginer une seule.
Je ne saurais donc mieux résumer la
doctrine ecclésiastique qu'en citant ces lignes : « Le secret de la confession
n'est pas comme le secret ordinaire, qu'on peut quelquefois se dispenser de
garder, en matières civile ou criminelle ; celui de la confession ne souffre
aucune exception. S'il y en avait quelqu'une qu'on pût y apporter, il faudrait
qu'elle eût été reconnue par l'Eglise. Bien loin que l'Eglise croie qu'il y ait
lieu à faire quelque exception ou limitation, elle juge qu'iln'y a aucun cas où le confesseur ne soit
obligé de garder ce secret,^et qu'il n'en peut être dispensé sous quelque
prétexte ou par quelque puissance que ce soit dans le monde2. »
IL
L'accord, sur ce point, des lois
criminelles de l'Etat avec celles de l'Eglise ne semble pas avoir été rompu un
seul instant avant la fin du xvie siècle. Je ne sais si, jusque-là,
on pourrait citer quelques exemples du contraire.
Mais, pendant le cours du xvie
siècle et dans les premières années duxvne, quelques discussions
furent entamées sur ce
1 M. Ortolan, Eléments de droit pénal, Ie
édit., p. 28. s Conférences
d'Angers, t. XIII, p.
437-438.—Cf. Conférences de Luçon,t. VI, passim.
528 REVUE DES QUESTIONS
HISTORIQUES.
point. Les esprits étaient généralement
préoccupés de la question du
tyrannicide, et peu de moralistes ont manqué d'en parler. Mais leurs dissertations ont été faites généralement dans un but théorique, à l'appui duquel viennent se
grouper certains faits. Ces
allégations se présentent, en réalité, dans leurs ouvrages, comme des exemples de la possibilité ou
de la noirceur de ce crime, bien
plutôt que pour témoigner des détails de la procédure existante. On verra plus loin, d'ailleurs, ce qu'il importe
de penser de ces faits, au point de vue de la vérité historique.
On Ta dit récemment : « Chose curieuse et
triste, parmi les publicistes de cette époque, il n'y en a pas, même celui qui
mérite le nom de moraliste autant que de politique, qui ne prêche et n'approuve le tyrannicide! Bodin exprime, dans le
même chapitre, l'apologie du tyrannicide et l'horreur la mieux sentie du régicide, qu'il en distingue
soigneusement. Distinction nulle en morale. Il faut que la règle domine ici jusqu'à rendre impossible la libre interprétation.
Pour l'assassin, le prince est toujours un tyran1. »
Entraînés par le
sentiment du danger de semblables doctrines, les juristes et les hommes du roi
réagirent. D'ailleurs, une série de complots avait forcé les rois à rappeler les
dispositions
pénales, à en ajouter quelques nouvelles, à faire entrer formellement dans le
droit criminel de l'État les prescriptions ecclésiastiques des époques antérieures.
Ainsi, lorsqu'à la
suite des « conspirations damnables et pernicieuses entreprises » qui signalèrent
son règne, Louis XI rendit l'ordonnance de 1477 2 contre « les crimineux de
lèze-majesté, » il rappela nettement
les anciens principes sur cette matière.
Nos conseils, dit-il, « nous ont remontré que, jaçoit ce que, selon les droits de toute raison, la seule
science en crime de lèze-majesté,
quand elle n'est révélée, soit dign.e de pareille punition que l'effet et exécution du crime,
toutefois, pour le bien de justice et seureté de toute la chose
publique, il est besoin que, en esclaircissant
les anciennes lois et ordonnances, et en y ajoutant par tout que mestier
seroit, nous facions
1 H. Baudrïllart, Bodin et
son temps. Paris, 1853, p. 294. — Cf. Bodin, République, 1.
II, ch. v.
3 Ordonnance du 22 décembre
1477, rendue au Plessis-du-Parc-lez-Tours. Qrcl, des rois de France, t.
XVIII, p. 316.
*
LE SECRET DE LA. CONFESSION. 5*29
encore loy et constitution nouvelle pour
oster l'espérance de ceux qui, par de frauduleuses excusations, penseroient
eux sauver, et afin que de là
où. par la loyauté qu'ils doivent à leur souverain seigneur, ils ne se
voudroient garder de mal faire, au moins ils
en soient restreints et empeschéspar crainte de punition *. »
Avant de passer aux ordonnances des
successeurs de Louis XI, qu'il me soit permis d'insister sur une réserve expresse insérée à la fin de l'ordonnance de 1477.
Dans l'intérêt de cette discussion, il importe de la rappeler tout
spécialement. « Toutefois, entre autres
choses, nous voulons et entendons
les anciennes lois, constitutions et ordonnances qui, par nos prédécesseurs ou de droict, sont introduites,
et les usages qui d'ancienneté ont
été gardés et observés en nostre royaume, demeurer en leur force et vertu sans aucunement y déroger par ces
présentes2. »
Or, n'était-il pas « d'ancienne loi..., »
« de droit..., » et « d'usage d'ancienneté, gardé et observé, » que le secret
de la confession était absolument inviolable ?
1 II
y est dit plus loin : « Par l'advis et déclaration desdits seigneurs de
nostre sang- et plusieurs notables gens, tant de notre conseil que autres, et
alin que ce soit perpétuelle mémoire, de notre pleine puissance et auctorité
sou
veraine, autre et avec les autres loix, constitutions et observations qui sur
ce
ont par cy devant esté gardées et observées en nostre dit royaume,, et en
icelles éclaircissant et partout que mestier seroit y adjoustant, avons dit,
déclaré, constitué et ordonné, disons, déclarons, constituons et ordonnons, par
lettre, edict, ordonnance et constitution perpétuelle, irrévocable et durable à
toujours : que toutes personnes quelsconques qui d'ores en avant sauront ou
auront connoissance de quelques traictés, machinations, conspirations et
entre
prises qui se fairont à rencontre de notre personne, de notre 1res chère et
et amée compagne la' Royne, de notre très cher et amé fils le dauphin de
Viennois, et de nos successeurs Roys et Roynes de France et de leurs enfants,
aussy à rencontre de l'État, seureté de nous ou d'eux et de la chose publique
de notre royaume, soient tenus et réputés crimineux de lè-ze Majesté, et
punis
de semblable peine et pareille punit-ion que doivent être les principaux
aucteurs,
conspirateurs et fauteurs et conducteurs desdits crimes, sans exception ni
réservation de personne quelconque, de quelque état, condition, qualité,
dignité, noblesse, seigneurie, prééminence ou prérogative que ce soit ou puisse
être, à cause de notre sang ou autrement, en quelque manière que ce soit, s'ils
ne révèlent ou envoyent révéler à nous et à nos principaux juges et officiers
des pays où il seront, le plustot que possible leur sera après qu'ils en auront
eu connoissance, auquel cas, et quand ainsy le révelleront ou enverront
reveller,
ils ne seront en aucun danger des punitions desdits crimes, mais seront dignes
de rémunération envers nous. et la chose publique. » Ordonnance de 1477,
t. XVIII, p. 316-317.
2 Ordonnance de 1477, ibicL
530 REVUE DES QUESTIONS HISTORIQUES.
GJ était
si bien une loi généralement admise et partout incontestée que Gerson,
dont chacun connaît la sagesse et l'autorité, avait écrit à ce sujet: « Le juge qui
veut forcer un prêtre à révéler une confession, commet une faute, » et ce
témoignage n'a aucune valeur 4.
Sous le règne des
successeurs de Louis XI, furent rendues quelques ordonnances relatives au crime de lèse-majesté. Elles spécifient certains cas où ce crime existe,
édictent la confiscation ou
d'autres peines2. L'ordonnance de Louis XII, rendue en 1512, retire aux criminels de
lèse-majes'té le bénéfice de
délivrance dont jouissaient certaines églises5; mais aucune
n'étend les principes posés par Louis XII. Nulle part il n'y est fait la moindre allusion au cas qui nous occupe 4.
Le crime de
lèse-majesté au premier chef ne se commettait pas seulement contre le roi, mais
encore contre la reine 5, les princes du sang 6, les
conseillers royaux 7, et; même les gardes du roi8.
Attenter au repos de l'Etat, et conspirer contre la sécurité publique a,
fomenter des séditions et entretenir des intelligences avec les ennemis de
l'Etat *°, c'était également commettre des crimes de lèse-majesté et de même nature.
1 «
Judex cogère volens ad revelationem confessionis peccat, et tenetur près-
byter ei non respondere aut dicere hoc non esse ïnforosuo.wCité parBouchel,
Décret, eccl. Gallic, LII, c. clxxiii.
2 Du reste ces peines existaient déjà; la
confiscation avait été appliquée
en 1314. Y. Olim, t. II, p. 616.
3 Ordonnances des vois de France, t. XXI, p.
505.
* Je dois faire remarquer que l'édition du
Gode Henry, Paris, 1605, in-F, ne contient aucune mention de l'exception
qui serait admise en France, bien qu'augmentée des notes de Garondas, un des
auteurs sur lesquels Jousse s'appuie. N'y aurait-il pas là une preuve que
cette exception était loin d'être légalement admise même à cette époque?
5 Ordonnance de 1477. — Gonf. ordonn. citées.— Gode
Henry» LVE, t. V, f* 191 v°, note 2.
s
Ordonnance de 1477. — Gode Henry, 1. YIÏI, t. Y, f> 198 v°.
7 Farin., q. 112, insp.I, n°64.—Y. également Gibert, Droit can.,
t. m, p. 277. R. 7. — Gf. Gode Henry, loc. cit.
s Gibert, ïbid.
9
Farin., q. 112, insp. YI, in
ext. et passim., q. 113. — Dans le courant de cette dissertation
juridique, si je m'appuie sur Farinacci, c'est que, dans tout le cours de son
ouvrage, Jousse le cite à chaque instant comme ayant une très-^grande autorité.
U n'en est donc point de meilleure pour ma cause, puisque ce sont
principalement des allégations de Jousse que je combats. D'ailleurs, bien
qu'Italien, son autorité resta incontestée en France jusqu'à la fin dû xvme
siècle. Gf. Bibliographie générale du docteur Hoefer.
i0 Farin., q. 113, insp.YL—« Il consiste à adhérer, secourir
et favoriser les ennemis et avoir avec eux intelligence, esmouvoir le peuple à
sédition, et
LE SECRET DE LA CONFESSION. 531
Dans ces cas, — et
dans quelques autres qu'Userait trop long d'énumérer,— les jurisconsultes laïques
appliquaient les lois anciennes et les ordonnances royales plus récemment promulguées. Qu'il eût
été accompli ou qu'il fût resté à l'état de simple projet, le crime n'en était pas moins
horrible : la seule pensée en
était au même degré punissable '.
Lorsqu'il s'agit d'un crime ou d'un délit
ordinaire, c'est aux magistrats à poursuivre dans l'intérêt public. Et si l'on
peut avertir la justice, nul n'est positivement tenu de le faire2. Mais il importe tellement au
salut public que le prince soit à
l'abri de tout danger, que ne pas faire connaître un criminel de
lèse-majesté, c'est se rendre coupable du même crime 3, passible des mêmes peines *, ou tout au moins d'une peine extraordinaire 3. « Ceux qui ne
révèlent pas les conspirations, traitez et entreprises qui se font
contre le roy, la royne, ses enfants, et contre son cognoissance, sont réputés en être participans, adhérans et coulpables, et
partants criminels de lèze-majesté 6. »
Certes, jen'aipas
amoindrila rigueur de l'anciennelégislation; mais je demande à mon tour qu'on n'en
réduise pas non plus les tempéraments. Souvent excessive, j'en conviens, si
l'on raisonne
d'après nos idées actuelles, elle avait néanmoins ce grand fond d'honnêteté et même d'humanité que le
Christianisme lui avait communiqué. Il faut
ici rappeler la parole de Montesquieu
: « Le Christianisme donna son caractère à la jurisprudence 7. » Il
a adouci l'idée primitive et barbare de vengeance comme base du droit
pénal, pour y substituer l'idée plus
faire
ligue dedans ou dehors le royaume, contre l'auctorité du roy et pour
entreprendre sur icelle*» Code Henri/, 1. VIII, t. V, f° 191 v°, note L
1 «Inhïs
voluntas manifestata pro scelererepulatur, et eadem severitatepu-
nitur.» — Cf. Ordonnance de 1477, et alias... — « Ce crime s'étend très-ample
ment, à scavoir à la pensée, volonté, dessein, entreprise, effort, conseil,
scavoir,
approbation, silence, adhérence et autres semblables. » Code Henry, 1. VIII,
t. Y, 1° 192 r°, note.
2 Farin., q. 51, n° 8.
3 Id.,
q. 51, n° 69. — « Proposita régula sine dubio magïs communiter a
doctoribus recepta est. » Ibid., n° 71.
* Id. n° 72, 74.
B Ici., n° 90. « Pœna extra ordinem puniendus est arbitrio ipsius
princi-pis. »
6 Gode
Henry, 1. VIII, tit. V, fd 191 v°, note 2.
7 Esprit des lois, 1. XXIII,
ch. xxi.
532 HEVtîE DES QUESTIONS HISTORIQUES.
morale, plus vraie, plus civilisatrice, de justice et d'intérêt de conservation publique *.
Il pouvait donc se
présenter des cas où les sentiments les plus nobles et les plus légitimement enracinés au fond du cœur humain devaient imposer silence au
dénonciateur. La loi sut les
respecter même dans le crime atroce de lèse-majesté. En dépit de la règle qui vient d'être rappelée, la
femme n'était nullement tenue de
dénoncer le crime de lèse-majesté commis par son mari2; le père se trouvait dispensé également de dénoncer ses enfants, si, malgré ses représentations
et ses efforts, il les voyait
persévérer dans leurs abominables desseins5. Les rigueurs de la législation poursuivaient les
coupables et les complices4.
On les punissait de mort5. Chacun devait leur refuser asile et nourriture 6. Mais,
ici encore, ces dispositions ne
s'appliquaient ni à la femme 7, ni au père des coupables8;
en divers cas, des peines plus
douces étaient prononcées. Enfin, bien
quJon écoutât en ce crime « les témoins infâmes et vils ; cependant on n'admettait point les ennemis de
l'accusé 9. »
Sont-ce là toutes les exceptions à
l'obligation de révéler un crime de
lèse-majesté? Nullement, et nous arrivons à l'exception qui importe le
plus à notre thèse : « Le prêtre ne peut
révéler les crimes commis par son pénitent, même le's plus atroces, et même ceux qui sont compris
dans le crime de lèse-majesté
*°. » Jousse lui-même constate
cette décision H.
1 Cf. M. Ortolan, Éléments de droit pénal, Fondement
légitime du droit de
punir, 1. I, ch. h,
2 Farin., q.
51, n" 81.
3 Farin., q. 51, n° 84.— Même dans l'opinion la
plus répandue ce communi-
ter recepta, » par cela seul qu'il
est père, « propter amorem paternum, » il se
trouvait dans un cas légitime d'excuse. Ibid.} na
82.
* Farin., q. 113, insp. IX.
5 Farm., q.
113, insp. IX, n° 258.
6 Farin., ibid.t
n° 264.
' Farin., ibid., n°
280-282-283.
8 Farin., q.
113, insp. IX, n° 264.
9 Bouchel, Dict. ean., v° reproches, cité
par Brillon, Bict. des arrêts v°.
Lèse-majesté, —Cf. Farinac, q. 112, insp. I, n° 74, q. 117, n°
37.
10 « Ut
sacerdos non possit delicta commissa per confltentem revelare, etiam
quod sint atrocissima, ac etiam
quod contineantur sub crimine l%s% majes-
tatis. » Farin., q. 51, n° 99.
11 Traité de justice criminelle. Paris, 1771, t. II, p. 98.— Jousse fait quelques
lignes plus loin, pour la France, «
l'exception » reproduite par M. Ortolan, et qui
a donné lieu à cette étude; il ne l'appuie que des faits que nous
discuterons
tout à l'heure.
LE SECRET
DE LA CONFESSION. 533
III.
Avant la fin du xvne
siècle, aucune difficulté ne s'éleva sur ce point, quels qu'aient été les cas qui se
soient présentés, tentative
d'incendie *, d'assassinat2, ou autres. Les complices d'un coupable, par lui indiqués en confession,
étaient protégés par ce secret, et ne pouvaient être poursuivis sans
autres preuves, car « la confession contient le péché et les circonstances 3.
» On remarquera d'ailleurs la sévérité des peines
que les Parlements infligeaient aux sacrilèges profanateurs du secret
de la confession 4. Vainement chercherait-on l'exception pour le
cas spécial de lèse-majesté : la règle que
je viens de rappeler plus haut était unanimement admise.
Ce ne fut que dans
les dernières années du xvie siècle, ou vers les premières du
siècle suivant, qu'on vit se manifester la prétention d'excepter le crime de lèse-majesté au premier chef. Les juristes citèrent quelques faits,
qu'ils estimaient sans réplique. A leur sens, le secret de la confession s'y
était trouvé violé ; ils y virent la preuve de ce qu'ils prétendaient,
et il n'en fallut pas davantage pour dire alors « qu'en l'Église gal-
* Arrêt cité par Jousse, t. II, p. 105.
2 Arrêt
du Parlement de Toulouse de 1579, rappelé par Lenglet-Dufresnoy,
Traité historique... du secret de la confession. Paris, 1715, p. 124. Il
s'agis
sait d'un assassinat dont on ne pouvait découvrir l'auteur. Son confesseur le
dénonça. Th. Raynaud rapporte ce fait et dit: « Senatus apprime catholicus.
conspecto eo corrupto fonte notitiee qua caupo gravabatur, habuit eum pro
innoxio, nec passus est perfîdi et omni nota ac muleta digni confessarii dela-
tionem, nocere reo, sed donec is aliunde patrata? caedis insimularetur, pronon-
ciavit insontem... » Th. Ravnaudi, in Centurie? Hîstoriamm. Lvon,
1665,
t. XVII, p. 604, n° 13.
3 Garondas, iiv. VII, rep. 178. — Cf. Arrêt du Parlement de Paris du
23 octobre 1580. — Papon date cet arrêt de la surveille de Noël 1580, Recueil
d'arrêts notables. Paris, 1621, t. II, p. 1321. — V. Brilion, Met. des
Arrêts,
v° confession.
* « Gonfessarius eidem, senatu judicante, actus
est in furcam et cadaver cre-
matum. » Arrêt du P. de Toulouse qui vient d'être cité. — Un arrêt du « Par
lement de Paris du 22 juin 1673 déclare le sieur Bouchot, confesseur des
religieuses de l'abbaye de Saussaye, atteint et convaincu de sacrilège, abus
et profanation du sacrement de pénitence ; pour réparation de quoi il est con
damné à être pendu, et brûlé, et ses cendres jettées au vent. » Durand de
Maillane, Met. de droit canonique, v° confesseur. Lyon, 1770.
534 REVUE
DES QUESTIONS HISTORIQUES.
licane
*...,» « qu'en France on exceptait le crime de lèse-majesté 2. »
Nulle autre preuve
que ces allégations3. Maintenant qu'on a vu quel était le droit incontesté
jusqu'au moment où elles se produisirent, examinons ce que valent, ce que
prouvent les faite sur lesquels elles
reposent, et si réellement ces faits ont la portée qu'on leur a donnée.
Je ne saurais mieux
faire que de prendre l'exposé des exemples allégués par Jousse dans l'ouvrage qui a
servi de base à Terreur que je combats. Cet auteur les a tous rapportés, mais toujours il l'a fait
de seconde main, sans remonter aux sources, ce qui, en des cas aussi graves, eût été
pourtant nécessaire.
Jousse cite sept
exemples4, que je dois examiner successivement.
Qu'on me permette d'en rejeter un
immédiatement, celui du « P. Garnet,
religieux qui fut mis à mort pour avoir refusé de révéler la conjuration faite contre Jacques Iep,
roi d'Angleterre, qui lui avait été
confiée à la confession. Sur quoi, ajoute Jousse lui-même, il faut
cependant observer que la plupart des juges
qui le condamnèrent étaient hérétiques 5. » Il aurait fallu encore observer que ce fut en Angleterre
qu'eurent lieu le procès, la condamnation et l'exécution du P. Garnet.
Or que prouverait en
faveur d'une doctrine ce de l'Eglise gallicane, » que prouverait en faveur d'une «
exception reçue en France »
un fait arrivé ainsi à l'étranger, à Londres 6 ? absolument rien. Ou plutôt il prouverait deux
choses, contre l'opinion de Jousse : 1° qu'il y a eu parfois des violences, des
excès, des tortures infligées à ceux qu'on croyait devenus par la confession dépositaires de secrets
importants ; 2° que partout les prêtres ont préféré la mort, le martyre,
plutôt
1 Brillon, Dict.
des Arrêts, v° confession, .
2 Jousse, t. II, p. 99.
3 Cf.
Carondas, loc. cit. — La RocheJlavin, Treze livres des Parlemens,
1. XIII, ch. xix, n° 25. Bordeaus, 1617. — Bodîn, de la République, 1.
II,
ch. v, p. 222, Paris, 1577.— Despeisse, t. II,
p. 555, n° 33. Paris, 1750.
* Y. Jousse, t. II, p. 99,100 et 105. Y
joindre le fait allégué dans son t. III, p,
697. Pour le moment, je n'ai pas à faire la remarque qu'il est identique aux faits
rappelés au vol. précédent.
K Jousse,
loc. cit. p. 100.
6 Yoy. Lingard, Hist.
d'Angleterre. — Destombes, la persécution relig. en Angleterre,
t. II, p. 97 et s. .
LE
SECBET DE LA CONFESSION. 535
que de révéler quoi que ce soit de ce qu'ils avaient appris
dé la sorte, et juré de garder
inviolablement le secret.
Je ne pense pas qu'il faille davantage
insister sur ce point; il serait aisé
d'invoquer d'autres exemples, tels que ceux de saint Jean Népomucène A et de Jean Sarcander 2; mais c'est là un point qui,
je l'espère, est hors du débat5.
Le second exemple,
raconté par notre auteur 4, d'après Mezeray, ne prouve rien autre chose,
sinon que le secret fut inviolablement gardé par le prêtre malgré la prison et la
torture.
Que dit Mezeray, en effet :
« Il advint en ce
mesme temps que Robert de Cassel, second fils du comte de Flandre, accusa Louys son
frère aîsné d'avoir voulu empoisonner son père; sur cela Louys fut arresté,
et ses gens
et son confesseur mis à la torture. Gomme on ne put trouver aucune preuve
du crime, on le mit en liberté5. » Ceci veut-il dire qu'on
avait le droit de le mettre à la torture? Ceci
* BolL Àcia Sanci. \rita S. Joann. Nepom., 16 mai,
t. III, p. 670, 671.
2 «
Wenn mir auch Iemand irgend etwas in der Beicht anvertraut haben
wûrde, so behalte ich dièses nicht in
meinem Gedâchtnisse, und will es auch
nicht behalten, sondern habe es in
"Vergessenheit begraben aus Ehrfurcht vor
dem unverletzlichen Beichtsigill,
und ich liesse mich lieber in Stûcke zerreis-
sen... als nur einen Augenblick das Beichtsigill sacrilegisch verletzen.
»
Dr Stadler, Vollstândiges
Heilîgen Lexihon., t. m, p. 297, col. 2; Augs-
burg, 1863.—On remarquera que je ne cite
ici que des prêtres dont l'Eglise a
loué spécialement le zèle et les vertus, en permettant de les vénérer
par un
cul Le public. II en est mille autres qui ont été victimes de leur devoir.
3 U ne
faudrait pas appliquer au catholicisme les règles qu'on rencontre
dans l'Église russe. Si l'Eglise romaine a entouré de respects et de garanties
le secret du Sacrement, si elle a toujours
repoussé les moindres atteintes que
l'ambition ou la violence voulaient lui faire subir, il n'en a pas été
de même
dans l'Eglise russe. La réunion entre les mains du czar des deux au
torités devait amener cette conséquence de
détruire l'indépendance spirituelle
du clergé et des iidèles, et de soumettre la foi à la puissance
temporelle. Sur
le point même de cette étude, l'Eglise orthodoxe admit un règlement de
Pierre Ier, dont les 11e
et 12° règles prescrivaient au confesseur de révéler le
secret de la confession, dans le cas
de complot contre l'empereur ou contre
l'empire, etc.. -et dans le cas de faux miracles, lorsque le pénitent ne
vou
lait pas renoncer à son imposture. V* P. Gagarin, La Réforme du. clergé
russe. Etudes religieuses, historiques et
littéraires, mai 1867, p. 701. —
L'au
teur ajoute, en citant, d'après des
écrits russes3 plusieurs exemples de sem
blables violations : « L'histoire nous apprend que le clergé russe ne
s'est pas
fuit faute de mettre en pratique les
prescriptions du règlement ecclésiastique. »
Les popes Ignatief, Basile Sergueef,
Gerbonovski, en donnent la preuve. —
Ibid.> p. 702, note.
* Jousse, loc. cit. p.
99.
3 Mezeray, Abrégé de
l'Histoire de France, A. 1320, t. II, p. 71. Paris, 1690.
536 REVUE DES
QUESTIONS HISTORIQUES,
veut-il dire tpi'il ait parlé ? Donc ce second exemple
prouve encore moins que le premier.
Le continuateur
deNangisa servi d'autorité pour le troisième exemple que Jousse a cru devoir
invoquer. Il s'agissait des prétendus droits qu'à l'aide de faux titres, fabriqués
pour la circonstance,
Robert d'Artois faisait valoir auprès de Philippe VI et du Parlement pour
la revendication du comté d'Artois. Mézeray, auquel notre criminaliste renvoie *,
raconte qu'on « se saisit de son confesseur, et qu'on l'obligea à porter témoignage contre luy, moitié
par forces, moitié par promesses; et aussi par la consultation de quelques docteurs,
faux casuistes, qui l'assurèrent
qu'il pouvait révéler ce qu'il avait appris en confession 2. »
Mais, pour que le
récit soit au moins complet, il importe d'ajouter que ces faux docteurs, «plus
soucieux de plaire aux hommes que jaloux de rendre, comme ils le devaient, témoignage à la vérité, » émettaient ainsi une
opinion opposée tant « à la doctrine
commune des frères prêcheurs 5 » auxquels appartenait Jean
Aubery, le confesseur arrêté, qu'à l'enseignement unanime de l'Eglise.
Mais enfin, que
prouverait ce fait? Qu'il y a eu violence, qu'il y a eu fraude, qu'il y a eu dol; et ce fait servirait de
base et de fondement à un droit ! Il
prouverait une te exception» établie en
France ! Il suffit d'exposer les faits, et toutes les conséquences qu'on voudrait en tirer s'écroulent
d'elles-mêmes. Jousse a accepté à la
légère toutes ces allégations.
Les autres faits cités dans le Traité de la justice criminelle
1 Cf. Jousse, t. II, p. 99.
2 Mezeray, A. 1331, t. II, p. 90.
3 «
Magïs ut plurïmi credant volentes homînibus placera, quam secundum
nominis sui professionem perhibere testimonium veritati, cum istud si contra
communem doctrinam quam Preedicatores reputant verissimam et quam ipsi
quotidie defendere nituntur, quee dicit, quod ea quse sub eodem contextu cum
peccatis dicuntur, îicet peccata non sint, sub eodem sigillo confessionis cum
peccatis (habentur. » Continuateur de Guillaume de Nangîs, A. ,1331. Édition
Géraud, '1843, t. II, p. 127.—Le P. Griffet donne ce fait avec quelques
variantes ;
il s'agissait, d'après lui, d'actes de sorcellerie qu'on proposait, mais sous
le
secret de la confession, et qui consistaient à « baptiser une de.ces images de
cire par lesquelles on croyait
pouvoir faire mourir les personnes qu'elles
représentaient.... L'évêque
(de Paris), après avoir consulté les plus savants
docteurs, déclara authentiquement que la proposition
d'un crime est bien différente de l'aveu qu'en fait un pénitent dans une
confession sacramentelle. ». Daniel, Hist. de France, t. V. — Cf. Leber,
Collections des meilleures dissertations sur Vflist. de France, t. XVII,
p. 128-130.
LE SECRET
DE LA CONFESSION. 537
offriraient un caractère d'une gravité
excessive, et sembleraient, au premier aspect, présenter les preuves les plus
concluantes
contre la thèse que je défends. Ils sont au nombre de quatre :
1° Un attentat
contre François Ier, révélé par un confesseur, cité d'après
l'autorité du président de Thou i ;
2e Un attentat contre François Ier,
révélé par un « corde-
lier, » cité d'après La Roche-Flavin 2;
3° Un attentat contre le même François Ier,
révélé par un « franciscain. » Jousse
invoque ici le témoignage de La Pri-maudaie 3 ;
4° Enfin un attentat
contre Henri II, révélé par un « cor-délier. » C'est Bodin qui aurait fourni ce
dernier exemple 4.
Par malheur les trois derniers exemples
sont la répétition du même fait ; à peine
quelques détails varient-ils. Rien ne le prouvera mieux que de remonter aux
sources, et de rechercher les divers auteurs qui les ont rapportés.
Quant au premier, il se rattache également
aux mêmes événements.
Et d'abord quel est
le récit de Bodin? Yoici comment il s'exprime 3 :
« Et combien que la mauvaise pensée d'attenter à la vie de son prince souverain, est jugé coulpable de mort, quelque repentance qu'il en ait eue, et de fait
il se trouva un gentilhomme de
Normandie, lequel se confessa à un cordelier qu'il aurait voulu tuer le roi François Ier; se repentant
de ce mauvais vouloir, le cordelier
luy donna absolution, et néant-moins
depuis il en advertit le roy, qui renvoya le gentilhomme au Parlement de Paris pour lui faire son procès :
où il fust condamné à mort par arrest et depuis exécuté6. »
Bodin, on le
remarque, parle de François Ier; par conséquent
1 Jousse, op. cit., II, p. 99.
* Ibiâ.
s Ibid., t. II, p. 105.
4 Ibid., t. II, p. 99 et 100. — Cette même assertion se
trouve reproduite, t. III, p. 697, mais sans preuve ni renvoi. C'est cette
allégation que M. Ortolan a cru pouvoir citer dans son ouvrage.
3 De la République, 1. II, ch. v.
Paris, 1577, p. 222 et 223.
6 II importe d'observer que Bodin ne transcrit nullement l'arrêt en
question, bien que d'après la note de Jousse il semblerait n'avoir pas manqué
de le
faire : «Bodin, dit-il (p. 99), enrapporte
un autre exemple....... ainsi que
l'arrêt
qui intervint à ce sujet, sur l'avis de plusieurs docteurs
célèbres qui l'avaient ainsi décidé. » En principe, de semblables citations ne
sont guère loyales. De la part de Jousse elles accusent en ces matières un peu
trop de précipitation.
538 REVUE DES QUESTIONS HISTORIQUES.
Jousse, en se basant sur Bodin, commet une erreur manifeste lorsqu'il nomme Henri II f.
De son côté
LaPrimaudaie -reproduit le récit de Bodin, sans variantes, sans qu'un seul mot même soit changé ; il
y a identité complète2. Enfin,
d'après La Roche-Flavin, dans les quelques lignes qu'il consacre à ce
fait3, c'est également un «
gentilhomme de la Normandie ayant révélé en confession à un cordelier qu'il avait voulu tuer François Ier.
»
Donc en tout ceci, il y a plus que des
présomptions graves, précises et
concordantes, comme on dirait à l'école ; il y a la certitude qu'il ne s'agit que d'un seul et même fait.
La démonstration que
trois des exemples invoqués n'en constituent en réalité qu'un seul, n'est pas
faite pour donner grand poids ni grand crédit à la critique historique du crimina-liste. De quelque
excuse bienveillante qu'on pallie de semblables erreurs, elles doivent ébranler la
confiance que l'auteur semble d'ailleurs mériter. Mais rappelons les faits.
Un des événements
les plus importants du règne de François Ier a été la conspiration du
connétable de Bourbon. Prince du sang, revêtu de la première dignité du royaume, il ne
craignit
pas de conspirer avec l'empereur et le roi d'Angleterre contre son souverain.
Jean de Poitiers, sire de
Saint-Vallier, était un des principaux conjurés, et parmi les partisans qu'ils
réussirent à gagner, se trouvaient deux gentilshommes normands, Matignon et d'Àrgouges. Engagés sous serment, mais un
peu par surprise, à ne pas dévoiler les
desseins dont ils avaient eu connaissance, ils furent bientôt saisis
par le remords, et se virent « en leurs
consciences réduits en deux extrémités contraires: ou de révéler 4,
suivant l'obligation qu'ils avoient de droit divin
et humain à leur prince, chose qui tant importait à son Estât, ou bien de la taire, suivant leur serment
par eux fait sur les Evangiles. En cet estrif, ils estimèrent qu'ils se
dévoient présenter à un homme d'église, comme ils firent, et par leur
1 Op. cit., t. II, p. 99, et t. IU, p.
697.
2 Académie
française; journée 14, ch. 56.
Paris 1577, p. 293.
3 Treze livres des Parlements, 1. XIII, ch. 19, g 25.
* Je cite in
extenso le récit de Pasquier sur ce point. On se convaincra que l'obligation de
révéler la conspiration incombait dans son esprit non au confesseur, puisqu'il
ne connaissait rien encore, mais bien aux complices eux-mêmes.
LE SECRET DE IA CONFESSION. 539
confession lui déclarèrent ce qui estoit du
faict de ce prince, sans le nommer, ensemble des entreprises brassées
avecques luy par l'empereur
et le roi d'Angleterre ; le prians, pour le salut durovet de la France. d'en donner aclvisà messire Louys de Brézé, lieutenant-général du roy en Normandie
sous le duc d'Àlençon, gouverneur. Ce qu'il fit, sans dire les noms des
deux gentilshommes, ny pareillement du prince, mais les figurant avecques les remarques qu'on lui avoit touchées par les
deux confessions K. »
En face d'un pareil
récit, aussi circonstancié, peut-on prétendre qu'il y ait eu violation du
secret de la confession ? Le prêtre
est « prié » par le pénitent de « donner avis » de ce dont il s'accuse, et en le faisant, il viole le secret institué en faveur
du pénitent2 ! Ce n'est pas sérieux.
«Non-seulement ils
désapprouvèrent l'un et l'autre la conjuration, dit M. Mignet, en parlant de
Matignon et de d'Argouges, mais ils la dénoncèrent3. » D'après cet
histoirien, ce futTévêque de Lisieux, à qui ils s'étaient confessés, qui informa
Brézé. Grâce à cet avis la conjuration ne tarda pas à être réprimée ; le connétable quitta le
sol natal, et vendit ouvertement ses services à l'étranger; Saint-Vallier fut arrêté et traduit en
Parlement.
Ici se place naturellement l'exemple
invoqué par Jousse4 d'après
l'allégation du Président de Thou. «Jean de Poitiers, seigneur de Saint-Vallier, s'étant accusé en
secret à un prêtre d'avoir eu part à la conjuration de Charles de Bourbon, fut dénoncé par son confesseur et condamné à mort 5.
» Un récit plus circonstancié va
faire également tomber l'odieux de ce fait.
Il n'y a rien de tel pour la vérité que de la produire dans son
intégrité.
1 OEuvres de Pasquier, 1.1, p. 563, Recherches, I.VX, ch. 12.
édit. d'Amsterdam,
1723, Cet auteur ne saurait être
suspect, vivant à une époque aussi rapprochée
des faits que les autres auteurs invoqués, et par sa position étant à
même
d'être mieux renseigné. — Gf. Daniel, Ilist,
de France, t. IX, p. 611.
2 Voy. plus haut. — Cf. S. Thomas, Summ,, add.,
qu. xi, art. 4.
3 Rivalité de François Iee et de
Charles-Quint, le connétable
de Bourbon. —
Revue des Deux-Mondest 15 fév. 1860, p. 885.
4 Op. cit. p. 99.
5 Thuani historia, 1. III, Paris, 1609,1.1, p. 233. — V. Hist.
de Thou, trad.du
Byer,
Paris, 1659, 1.1, p. 155.— Saint-Vallïer ne fut pas exécuté, et vécut plu
sieurs années encore. De Thou
écrit les lignes ci-dessus à l'occasion de la
mort de Saint-Vallier, arrivée seulement
sous le règne de Henri IL Plusieurs
ont naturellement pensé qu'il
s'agissait d'un attentat contre ce dernier
540 REVUE DES
QUESTIONS HISTORIQUES.
Les membres du
Parlement pensaient que le coupable taisait encore d'importants détails ; malgré la
maladie qui le minait dans sa prison, ils le menacèrent de lui infliger la
torture, suivant la
jurisprudence du temps. Ils firent même apporter devant lui les chaussures de
fer.
Alors Saint-Yallier
— nous citons le P, Griffet— « dit seulement qu'il permettait à son confesseur * de
révéler ce qu'il lui avait dit2. C'est peut-être ce quia donné
occasion à M. deThou de dire que Saint-Vallier, ayant découvert en secret à son
confesseur
la conspiration du connétable, fut déféré par ce prêtre et ensuite condamné
à mort. Mais on laisse à penser si la permission, accordée par Saint-Yallier à son
confesseur, de révéler aux juges tout ce qu'il lui avait dit, permission dont il
est fait mention
dans les actes du procès et qui ne fut donnée qu'après le jugement, a pu
autoriser M. de Thou à s'exprimer de la sorte. Les expressions de M. de Thou
donnaient évidemment à entendre que Saint-Yallier fut dénoncé par son confesseur, qui
ne crut
pas devoir garder le secret. Mais on ne voit rien ni dans les actes du procès, ni
dans les historiens contemporains qui donne lieu de penser que l'on apprit la
conspiration du connétable par la déclaration du confesseur de Saint-Yallier. Il paraît
au contraire
que les premières notions claires que Ton eut, furent données au sire de
Brézé par le confesseur à qui Matignon et d'Àrgouges s'étaient adressés, et
qu'ils avaient chargé expressément de révéler au sire de Brézé ce qu'ils avaient dit5.
»
Il eût été difficile
d'exposer plus clairement la part qui doit revenir aux deux confesseurs, àcelui de
Matignon et d'Àrgouges, comme à celui de Saint-Yallier. Ils n'ont l'un et
l'autre parié que sur la permission ou sur la prière de leur pénitent. Aussi les
savants auteurs de l'Art de vérifier les dates ont-ils simplement écrit à cette
occasion : « Dieu permit que deux gentishommes normands, qui étaient entrés dans la
conspiration, révélassent
souverain.
On peut voir par là combien certaines vérifications historiques sont parfois
précipitées et peu approfondies.
1 «
Derechef interrogé des complices, il ne dit rien de plus sinon qu'il don-
noit congé h son confesseur de dire et déclarer sa confession, » p. 240.
Procès
de Jean de Poitiers Sgr de Saint-Vallier, dans les Archives
curieuses deVhist. de
France, par Cimber et Danjou, série I, t. II, p. 238 à 241. Paris, 1835.
2 Cf. Hist de François Iae, par
Gaillard, t. III, p. 78. Paris, 1769.
s Daniel, HisL de France, notes du
P. Griffent. IX, p.G16et617,Paris 1755. Voir les notes relatives à la
conspiration du connétable, p. 609 à 621.
LE SECRET
DE LA CONCESSION. 541
au roi ce qu'ils en savaient *. » Et
récemment encore M. Michèle t, qu'on
n'accusera pas de partialité en notre faveur, écrivait : « Epouvantés des maux qui pouvaient frapper le
royaume, ils s'en étaient confessés,
en autorisant le prêtre à avertir Brézé2. »
Après ces témoignages
catégoriques, il est étrange de trouver les lignes suivantes sous la plume d'un
historien qui a des prétentions à l'érudition. M. Henri Martin est
impardonnable, pour ne rien dire de plus, lorsque, racontant ces faits, il s'exprime ainsi : «
François reçoit du grand sénéchal de Normandie l'avis que deux gentilshommes normands
avaient confié à un _ prêtre, sous le sceau de la confession {sic), qu'un
<c gros personnage du sang royal » a voulu les engager à introduire les Anglais dans leur province 5. »
Jousse était plus
excusable que M. Henri Martin : il ne faisait pas profession d'historien.
Néanmoins, puisqu'il basait une exception admise en France sur les exemples
qu'il rappelait, il aurait dû ne pas accepter aussi légèrement de pareilles
allégations,
et n'admettre que des faits prouvés et reçus sans contestation.
Que reste-t-il en
effet des sept témoignages qu'il invoque ? Les deux premiers prouvent que le confesseur
n'a rien dit ; le troisième,
qu'il y a eu dol, fraude et surprise, ou qu'il ne s'agissait pas d'une chose dite en confession; les derniers
enfin, que les confesseurs n'ont
parlé que sur la permission ou les instances de leurs pénitents.
Or, une doctrine qui
n'a d'autre base que quelques faits, s'écroule par cela seul que les faits
invoqués se trouvent faux ou
inexacts.
Je m'arrête. J'espère
avoir prouvé que les prêtres, tenus par l'Église au secret le plus absolu de la
confession, ont vu cette obligation de conscience reconnue et sanctionnée par
l'État. Jamais,
en effet, une exception n'a été formulée par une loi ; les faits sur
lesquels certains juristes voulaient en fonder une, ou reposent sur une erreur,
ou prouvent au contraire la constance et la fermeté des prêtres à observer
leur devoir.
G. de Senneville.
1 Art de
vérifier les dates, t. Il, p.
420, 2e col. Paris, 1783.
2 M. Michelet, Histoire de France au xvie
siècle. Réforme, t. VIII, p. 282.
3 Hist. de France, t. VIII,
p. 45.