lundi 11 mars 2013

Dans le secret de la chapelle Sixtine, le protocole est millénaire. Voici les 15 clés du conclave.



• L'entrée en conlave
L'entrée en conclave débute par une messe, la dernière publique des cardinaux avant de s'enfermer dans la chapelle Sixtine, sans pouvoir en sortir avant que le pape soit élu. D'où le mot conclave, en latin «Cum clave», fermé à clé.
Cette messe votive «Pro eligendo Papa» («Pour l'élection du Pape») est célébrée en la basilique Saint-Pierre. Très solennel, le cortège des prélats chante:
«Veni, Creator Spiritus, mentes tuorum visita...» («Viens, Esprit Créateur, visite l'âme de tes fidèles...»). «Emplis de la grâce d'En Haut les cœurs que tu as créés», poursuit l'invocation à l'Esprit saint. Ils ont revêtu le rochet et la mozette des grandes fêtes - surplis blanc et camail pourpre sur la soutane, l'habit de choeur cardinalice - et sont coiffés de la barrette. À l'issue de la célébration, en procession, ils rejoignent un autre sanctuaire, la chapelle Sixtine, où tous auront «le droit et le devoir d'élire le Successeur de Pierre, Chef visible de toute l'Église et Serviteur des serviteurs de Dieu, lorsque le siège de Rome devient vacant» (Constitution apostolique Universi Dominici Gregis, UDG).
• Les portes scellées
Dans ce joyau peint par les Michel-Ange, Botticelli, le Pérugin, Ghirlandaio et autres Signorelli, les prélats sont assis selon l'ordre du collège auquel ils appartiennent et leur ancienneté dans le cardinalat. Ils sont sous l'extraordinaire voûte qui figure la Création tout en faisant face au célèbre Jugement dernier peint par Michel-Ange sur le mur du maître-autel. «Ici, ils se voient entre le Commencement et la Fin, entre le Jour de la Création et le Jour du Jugement... Il est clair que, durant le conclave, Michel-Ange rend les hommes conscients», avait décrit Jean-Paul II dans son Triptyque romain. Le préfet de la Maison pontificale referme les lourdes portes sur eux, le cadenas plombe le secret de ces jours où l'on fait les papes. Mille ans qu'il en va ainsi.
• Les retardataires admis
La plus grande rigueur est requise, tout comme la ponctualité. Mais si un électeur arrive en retard pour l'ouverture, avant que l'élection soit faite, il est toutefois admis au processus de vote au point où il se trouve. De même, si un électeur doit sortir du Vatican pour cause de maladie ou autre motif grave reconnu comme tel, on votera sans lui, mais il sera réadmis «après sa guérison ou même avant» dans l'enceinte du conclave.
• Le serment des cardinaux
Les cardinaux électeurs commencent par prêter serment. Le doyen du Sacré Collège lit la formule à haute voix: «Nous tous et chacun de nous, cardinaux électeurs présents à cette élection du Souverain Pontife, promettons, faisons le vœu et jurons d'observer fidèlement et scrupuleusement toutes les prescriptions contenues dans la constitution apostolique du Souverain Pontife Jean-Paul II, Universi Dominici Gregis, datée du 22 février 1996. De même, nous promettons, nous faisons le vœu et nous jurons que quiconque d'entre nous sera, par disposition divine, élu Pontife romain, s'engagera à exercer fidèlement le munus petrinum [la charge de Pierre] de Pasteur de l'Église universelle et ne cessera d'affirmer et de défendre avec courage les droits spirituels et temporels, ainsi que la liberté du Saint-Siège :
«Nous promettons et nous jurons surtout de garder avec la plus grande fidélité et avec tous, clercs et laïcs, le secret sur tout ce qui concerne d'une manière quelconque l'élection du Pontife romain et sur ce qui se fait dans le lieu de l'élection et qui concerne directement ou indirectement les scrutins; de ne violer en aucune façon ce secret aussi bien pendant qu'après l'élection du nouveau Pontife, à moins qu'une autorisation explicite en ait été accordée par le Pape lui-même; de n'aider ou de ne favoriser aucune ingérence, opposition ni aucune autre forme d'intervention par lesquelles des autorités séculières, de quelque ordre et de quelque degré que ce soit, ou n'importe quel groupe, ou des individus voudraient s'immiscer dans l'élection du Pontife romain.»
Après quoi chacun, nommément, selon l'ordre de préséance, s'y engage.
«Et moi, N. Cardinal N., je le promets, j'en fais le vœu et je le jure.» Il ajoute, en posant la main sur l'Évangile: «Que Dieu m'y aide, ainsi que ces saints Évangiles que je touche de ma main». C'est après le serment du dernier que retentit le célèbre «Extra omnes!» («Tous dehors!»).
Toutes les personnes étrangères au conclave quittent la chapelle Sixtine. Des gardes suisses sont postés à toutes ses issues.
• Un scrutin secret
Des prières prévues par l'Ordo rituum conclavis, un ouvrage enfermant tout le rituel propre au conclave, sont dites. Le collège inspiré les conclue par le chant à la Vierge: Sub tuum praesidium. Le doyen demande alors aux cardinaux électeurs si l'on peut désormais procéder à l'élection ou s'il faut éclaircir des doutes sur les modalités. À la majorité des électeurs, si rien ne s'y oppose et si le temps nécessaire reste disponible, ils passent immédiatement au premier vote. Le scrutin secret est le mode de vote.
• Distribution des bulletins
Les cérémoniaires remettent à chaque électeur deux ou trois bulletins de vote. Rectangulaires, ils portent ces mots sur la moitié supérieure:
«Eligo in Summum Pontificem» («Je choisis pour Souverain Pontife...»).
La moitié inférieure comporte un espace libre pour y écrire le nom de l'élu.
Un tirage au sort parmi tous les électeurs est effectué pour retenir trois scrutateurs, trois infirmarii pour recueillir les votes des malades, et trois réviseurs. Puis chaque électeur inscrit clairement «d'une écriture autant que possible non reconnaissable» (UDG 65), le nom de celui qu'il choisit. Il se lève, selon l'ordre de préséance, tient son bulletin plié et levé, pour être vu de tous. Sous l'œil attentif de deux scrutateurs, il le dépose sur l'autel dans un calice faisant office d'urne, couvert d'une patène, en prononçant à haute voix un nouveau serment: «Je prends à témoin le Christ Seigneur, qui me jugera, que je donne ma voix à celui qui, selon Dieu, je juge devoir être élu».
Si un électeur ne peut se déplacer jusqu'à l'autel pour des raisons de santé, il prête serment depuis sa place puis remet son bulletin plié au troisième scrutateur, qui le porte dans l'urne. Si des électeurs malades sont restés dans leurs chambres, les trois infirmarii se rendent auprès d'eux avec les bulletins vierges nécessaires et une boîte, munie d'une fente et fermée à clé par les scrutateurs après avoir fait constater par les autres électeurs qu'elle était vide. Si un malade ne peut pas écrire, un des infirmarii (ou un autre électeur désigné par le malade), après avoir prêté serment de garder le secret, fait le nécessaire à sa place. De retour à la chapelle Sixtine, ces bulletins seront comptés et glissés à leur tour dans l'urne.
• Durant les tours de scrutin, chacun s'occupe
Avec 115 votants et un tel cérémonial, chaque tour de scrutin dure longtemps. Aussi, nombre de cardinaux s'occupent en priant le bréviaire ou en lisant. C'est ainsi qu'en 1978, un archevêque de Cracovie s'était fait reprocher par un voisin de lire des revues de philosophie marxiste durant les votes. «J'ai ma conscience pour moi», avait répondu sereinement le cardinal Wojtyla... futur Jean-Paul II.
• Coupés du monde extérieur
Pour maintenir le strict secret, les cardinaux n'ont droit à aucune correspondance épistolaire, téléphonique ou technologique avec l'extérieur, sauf en raison d'une nécessité urgente et prouvée, jusqu'à l'annonce publique de l'élection.
Il leur est également interdit «de recevoir la presse quotidienne ou périodique, de quelque nature que ce soit, et d'écouter des émissions radiophoniques ou de regarder la télévision» (UDG 57), ainsi que «d'introduire, sous aucun prétexte, dans les lieux où se déroulent les actes de l'élection ou, s'ils s'y trouvent déjà, que soient utilisés tout genre d'appareils techniques qui servent à enregistrer, à reproduire ou à transmettre les voix, les images ou les écrits» (UDG 61).
C'est à la Congrégation particulière (un groupe de quatre cardinaux sous la responsabilité du camerlingue) qu'il appartient de veiller à ces dispositions. Deux «techniciens de confiance» l'épaulent dans la tâche pour s'assurer «qu'aucun moyen d'enregistrement ou de transmission audiovisuelle ne soit introduit par quiconque dans aucun des locaux indiqués, particulièrement dans la chapelle Sixtine» (UDG 55).
Par ailleurs, un cardinal qui rencontrerait fortuitement toute personne travaillant au Vatican pendant l'élection se voit «absolument interdit d'entretenir une conversation, sous quelque forme que ce soit, avec quelque moyen que ce soit et pour quelque motif que ce soit» (UDG 45).
Toute infraction à ces obligations est passible d'une excommunication latae sententiae, immédiate (UDG 58).
Contrairement aux siècles passés où les cardinaux étaient logés dans des boxes indignes accolés à la hâte à la Sixtine, les conditions de cette vie recluse se sont améliorées. La maison Sainte-Marthe, édifiée pour eux par Jean-Paul II, les accueille désormais dans un confort simple mais décent où ils partagent leurs repas. Médecins, infirmiers, prêtres polyglottes pour la confession, gens de ménage et de cuisine… À l'intérieur, le personnel employé a été approuvé par le camerlingue, devant lequel ils se sont tous engagés au secret par serment.
• Le dépouillement
Quand tout le collège de cardinaux électeurs a voté, l'urne est agitée par le premier scrutateur pour mélanger les bulletins. Aussitôt après, le dernier scrutateur en fait le compte, prenant ostensiblement, un à un, chaque bulletin dans le calice avant de le déposer dans un vase vide. On peut procéder au dépouillement, sauf si le nombre de bulletins diffère de celui des électeurs. Alors on les brûle tous et on effectue aussitôt un deuxième vote. Le dépouillement est lui aussi réglé au millimètre.
Les scrutateurs sont assis à une table devant l'autel. Le premier prend un bulletin, le déplie et regarde le nom de l'élu. Puis il le donne au deuxième scrutateur qui, lisant à son tour le nom inscrit, passe le bulletin au troisième: celui- là le lit à haute et intelligible voix, pour que tous les électeurs puissent noter le suffrage sur la feuille qu'on leur a remise à cet effet. Une fois le dépouillement achevé, les scrutateurs font la somme des voix obtenues par les divers noms et les notent sur une feuille séparée. Le dernier des scrutateurs, au fur et à mesure qu'il lit les bulletins, les perfore avec une aiguille munie d'un fil à l'endroit où se trouve le mot «Eligo», et enfile ainsi les bulletins. À la fin de la lecture des noms, les extrémités du fil sont nouées, et tous les bulletins, ainsi réunis, sont placés dans un vase ou sur le coin de la table.
• Une fumée blanche faite de paille humide
Les règles en vigueur établissent que «pour la validité de l'élection du Pontife romain, sont requis les deux tiers des suffrages de la totalité des électeurs présents» (UDG 62). Si le nombre des votants n'est pas divisible par trois, on recourt à un suffrage supplémentaire.
Après maintes vérifications scrupuleuses des suffrages, la fumée tant attendue par les fidèles peut enfin s'échapper du toit de la Sixtine. Un poêle est installé au fond de la chapelle. Tous les bulletins de vote doivent être brûlés par les scrutateurs, avec l'aide du secrétaire du Sacré Collège et des cérémoniaires, avant que les cardinaux ne sortent de la chapelle. De même que toutes les notes personnelles prises par les cardinaux concernant le résultat de chaque scrutin. Selon que le vote a abouti à l'élection ou non, la fumée est blanche ou noire. Pour obtenir la première, on procède par adjonction de fumigènes. Pour la seconde aussi ou bien grâce à de la paille humide.
• Une élection qui peut être très longue
Une majorité qualifiée des deux tiers n'est pas toujours facile à obtenir, il peut arriver que l'élection prenne du temps. Si, au bout de trois jours, les électeurs ont du mal à s'accorder sur la personne à élire, les scrutins sont suspendus (pendant un jour au maximum). La prière, une libre discussion, mais aussi une brève exhortation spirituelle par le protodiacre sont engagées.
Si, après encore sept scrutins, l'élection n'est toujours pas intervenue, on fait une autre interruption, l'exhortation étant alors confiée au protopresbytre, premier dans l'ordre des cardinaux-prêtres. Si une troisième série de sept scrutins reste elle aussi sans résultat, de nouveau on suspend, on prie, on discute, et c'est le doyen en personne qui exhorte le collège dont il est le premier dans l'ordre dit «des évêques».
En cas de nouvel «échec», les cardinaux sont invités par le camerlingue à s'exprimer sur la manière de procéder, et l'on fera ce que la majorité aura décidé pour parvenir à une élection valide: soit à la majorité absolue des suffrages (et non plus des deux tiers), soit par un scrutin sur les deux seuls noms qui ont obtenu le plus grand nombre de voix au scrutin précédent, la seule majorité absolue étant là aussi requise. Dans ce cas, l'élection est mathématiquement assurée. Le camerlingue devra rédiger un compte rendu, approuvé par ses trois cardinaux assistants, où est indiqué le résultat des votes intervenus au cours de chaque session. Un document qui sera remis au nouveau pape puis conservé aux archives, dans une enveloppe scellée.
• Un simple prêtre pourrait être élu
Pour être élu, contrairement aux usages, il suffit d'être prêtre. Nul besoin d'être cardinal ni même d'avoir reçu l'ordre épiscopal, pour accéder à la charge pontificale. C'est en tout cas ce que dit le droit canonique. Encore faudrait-il parvenir à la Sixtine où la tradition ne fait entrer que des cardinaux… Mais selon les textes, si l'élu n'est pas évêque au moment du conclave, il est ordonné sur-le-champ par le doyen du Sacré Collège (canon 331). Au substitut de la Secrétairerie d'État, alors, de faire en sorte que l'élu rejoigne Rome, s'il n'y était pas, et le Palais apostolique.
• Un élu pourrait refuser d'être pape
En tout état de cause, quand l'élection est faite, le doyen interroge l'élu au nom de tout le collège des électeurs:
«Acceptes-tu ton élection canonique comme Souverain Pontife?». Quoique peu probable, un refus est possible. Aussitôt le consentement reçu, on demande à l'élu: «De quel nom veux-tu être appelé? - Je m'appellerai N...». Le maître des célébrations liturgiques, faisant fonction de notaire aux côtés de deux cérémoniaires témoins, rédige le procès-verbal de l'acceptation du nouveau Pontife et du nom qu'il a choisi (lien hypertexte avec mon papier sur le choix des noms de pape). L'élu devient immédiatement «évêque de l'Église de Rome, vrai Pape et chef du collège épiscopal. Il acquiert de facto et il peut exercer le pouvoir plein et suprême sur l'Église universelle» (UDG 88).
• La Chambre des larmes
En plus de la fumée blanche, des volées de cloches accompagnent la nouvelle. Mais le monde extérieur n'a pas encore de nom. Le nouvel élu prend quelques instants pour lui dans une petite pièce de 9 m² attenante à la chapelle Sixtine, appelée la «chambre des larmes».
Accompagné seulement du camerlingue et du maître des célébrations liturgiques, il peut se recueillir et prier pour être à la hauteur de cette lourde mission. Il revient dans la Sixtine revêtu de la soutane blanche. Trois modèles de tailles différentes l'attendaient, réalisés par la mythique maison Gammarelli, tailleur des papes depuis des générations. Sa calotte blanche lui est remise par le secrétaire du Sacré Collège, à qui il donne en retour sa calotte pourpre.
On rend grâce à Dieu, et le protodiacre proclame l'évangile de la confession de foi de Pierre, à qui le Christ répond en lui confiant les clés du Royaume des cieux (Mt 16, 13-19). Dos à l'autel, il voit les cardinaux qui viennent de l'élire s'avancer pour lui rendre hommage et faire acte d'obéissance. Le nouveau pape entonne le Te Deum.
• Habemus Papam
Enfin, le moment espéré par tant de fidèles dans le monde survient. A la loge des Bénédictions de la basilique Saint-Pierre, le premier des cardinaux-diacres, annonce au peuple la célèbre formule:
«Annuntio vobis gaudium magnum! Habemus papam: Eminentissimum ac Reverendissimum Dominum, Dominum N..., Sanctae Romanae Ecclesiae cardinalem N..., qui sibi nomen imposuit N...» («Je vous annonce une grande joie! Nous avons un Pape: l'éminentissime et révérendissime Monseigneur, Monseigneur... (prénom), cardinal de la sainte Église Romaine (nom), qui a choisi pour nom...).
Le cardinal s'efface pour laisser apparaître le «Serviteur des serviteurs de Dieu», selon l'un des nombreux titres du pape, aussi évêque de Rome. C'est l'heure, pour lui, de la première bénédiction urbi et orbi. Avant de prendre son bâton de pèlerin sur les chemins d'un monde…à évangéliser.
Source ;  http://lebloglaquestion.wordpress.com/

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